Détail

Dans les lacs, des bactéries luttent contre le changement climatique

20 août 2024 | Fanni Aspetsberger, Max-Planck-Institut für Marine Mikrobiologie

Les bactéries qui oxydent le méthane pourraient jouer un rôle plus important que supposé en empêchant que les lacs ne libèrent ce gaz néfaste pour le climat. C’est ce que déclarent des chercheuses et chercheurs de l’Institut Max-Planck de microbiologie marine à Brême et de l’Eawag. L’équipe montre en outre quelle en est la cause et comment le processus fonctionne.

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre qui se forme à de nombreux endroits en mer et dans les cours d’eau douce. Les lacs sont les plus grands émetteurs de ce gaz néfaste pour le climat. Mais il existe par chance des micro-organismes permettant de contrer le phénomène. Ceux-ci sont capables d’utiliser le gaz pour leur croissance et comme source d’énergie, empêchant ainsi qu’il s’échappe dans l’atmosphère. Ces micro-organismes, appelés méthanotrophes, sont par conséquent considérés comme un important «filtre biologique à méthane».

Ils se divisent en plusieurs groupes et de nombreuses questions sur leur mode de vie n’ont pas encore trouvé de réponse. Une étude des chercheuses et chercheurs de l’Institut Max-Planck de microbiologie marine à Brême et de l’Institut de recherche sur l’eau Eawag, qui vient de paraître dans la revue scientifique Nature Communications, met en lumière les surprenantes capacités de certains de ces organismes et leur rôle jusque-là insoupçonné pour notre climat.

Des micro-organismes aérobies dans les cours d’eau sans oxygène

L’équipe de recherche de Sina Schorn et Jana Milucka, de l’Institut Max-Planck de Brême, s’est rendue en Suisse au lac de Zoug pour ses travaux. Ce plan d’eau fait presque 200 mètres de profondeur et est en permanence dépourvu d’oxygène à partir d’une profondeur d’environ 120 mètres. On trouve néanmoins dans cet environnement anoxique des bactéries aérobies oxydant le méthane (MOB) qui, comme leur nom l’indique, ne vivent qu’en présence d’oxygène. Jusqu’alors, on ne savait pas précisément si et elles réussissaient à dégrader le méthane dans une eau sans oxygène ni comment.

L’équipe de S. Schorn et J. Milucka a donc voulu obtenir plus de détails sur l’activité de ces micro-organismes. Pour ses recherches, elle a utilisé des molécules de méthane (CH4), marquées par des atomes «lourds» de carbone (13C au lieu de 12C). Celles-ci ont a ensuite été ajoutées à des échantillons d’eau du lac avec tous les micro-organismes qui y vivent. L’équipe a ensuite suivi le cheminement du carbone lourd dans les cellules des bactéries à l’aide d’instruments spéciaux (appelés NanoSIMS). Les chercheuses et chercheurs ont ainsi pu observer comment ces micro-organismes produisent de l’énergie en transformant le méthane en dioxyde de carbone, moins néfaste pour le climat. Une partie du carbone a aussi été directement intégrée dans les cellules des bactéries. Cette expérience a permis de voir quelles bactéries étaient actives dans la communauté bactérienne et lesquelles ne l’étaient pas. L’équipe a en outre analysé les voies métaboliques qu’utilisaient les micro-organismes à l’aide de méthodes modernes appelées métagénomique et métatranscriptomique.
 

À gauche: Visualisation microscopique des MOB (rose) et autres micro-organismes (bleu) du lac de Zoug à l’aide de sondes fluorescentes. À droite: Visualisation d’atomes lourds de carbone (13C) dans la biomasse des MOB, signe de l’activité e ces dernières, au moyen de NanoSIMS. Plus la couleur est chaude, plus les cellules des bactéries contiennent de 13C et plus elles sont actives (© Sina Schorn/Institut Max-Planck de microbiologie marine).

Un seul groupe de bactéries est actif sans oxygène

«Nos résultats montrent que les MOB aérobies sont durablement actives dans l’eau sans oxygène» explique Sina Schorn, aujourd’hui chercheuse à l’université de Göteborg. «Toutefois, cela ne concerne qu’un groupe déterminé, facilement reconnaissables à la forme allongée de leurs cellules. À notre grande surprise, ces cellules étaient aussi actives dans des conditions oxiques qu’anoxiques – donc en présence ou en l’absence d’oxygène. Lorsque l’on mesure de faibles taux d’oxydation du méthane dans des eaux anoxiques, la cause en est probablement plutôt la présence réduite de ces cellules particulières en forme de bâtonnets qu’une moindre activité des bactéries.»

Une capacité d’adaptation métabolique contre la libération de méthane

Les chercheuses et chercheurs de l’Institut Max-Planck ont eu une autre surprise en observant en détail les capacités métaboliques de ce groupe de bactéries. «À partir des gènes présents, nous avons réussi à comprendre comment les bactéries réagissent lorsque l’oxygène vient à manquer» explique Jana Milucka, qui dirige le groupe de recherche sur les gaz à effet de serre à l’Institut Max-Planck de Brême. «Nous avons trouvé des gènes utilisés pour une fermentation spéciale à base de méthane». Alors que ce processus avait déjà été prouvé sur les MOB en laboratoire, il n’avait pas encore été étudié dans l’environnement. Les chercheuses et chercheurs ont en outre découvert quelques gènes pour la dénitrification grâce à laquelle les bactéries peuvent utiliser du nitrate au lieu de l’oxygène pour produire de l’énergie.

La fermentation est un processus particulièrement intéressant. «Lorsqu’elles pratiquent la fermentation, les MOB libèrent probablement des substances utilisées par d’autres bactéries qui les assimilent dans leurs cellules. Ainsi, le carbone contenu, provenant à l’origine du méthane nocif pour le climat, est retenu plus longtemps dans le lac et n’est pas libéré dans l’atmosphère. Il s’agit d’un puits de carbone méthanique dans les biotopes anoxiques qui n’a pas encore été pris en compte et que nous devrons intégrer dans nos futurs calculs» explique J. Milucka.

Réduire drastiquement la libération de méthane, aujourd’hui et demain

Les chercheuses et chercheurs de Brême expliquent dans leurs travaux quels sont les micro-organismes qui dégradent le méthane dans les biotopes sans oxygène et comment se passe ce processus. Les scientifiques montrent que les bactéries oxydant le méthane sont étonnamment importantes pour que ces environnements libèrent moins de ce gaz nocif dans l’atmosphère.

«Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, responsable pour un tiers environ de la hausse actuelle des températures mondiales» déclare S. Schorn pour signifier l’importance des résultats obtenus. «L’oxydation du méthane par des micro-organismes est l’unique puits biologique pour ce gaz. Son activité est par conséquent décisive pour le contrôle des émissions méthaniques dans l’atmosphère, et par là-même, pour la régulation du climat mondial. Compte tenu de l’augmentation actuelle et prévue des conditions anoxiques dans les lacs des régions tempérées, on peut s’attendre à ce que les MOB jouent une rôle de plus en plus important pour la dégradation du méthane dans les lacs. Nos résultats indiquent qu’à l’avenir, ces bactéries apporteront une contribution majeure à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et au stockage du carbone.»

Photo de couverture: Relevé d’échantillons devant le panorama idyllique du lac de Zoug (Photos: Sina Schorn, Juliane Schötz, Institut Max-Planck de microbiologie marine).

Publication originale

Schorn, S.; Graf, J. S.; Littmann, S.; Hach, P. F.; Lavik, G.; Speth, D. R.; Schubert, C. J.; Kuypers, M. M. M.; Milucka, J. (2024) Persistent activity of aerobic methane-oxidizing bacteria in anoxic lake waters due to metabolic versatility, Nature Communications, 15(1), 5293 (14 pp.), doi:10.1038/s41467-024-49602-5, Institutional Repository

Institutions impliquées

  • Max-Planck-Institut für Marine Mikrobiologie, Bremen, Deutschland
  • Eawag, Kastanienbaum, Schweiz