Détail
De gènes de résistance aux antibiotiques dans le Léman
22 mars 2012 |
Une fois traitées, les eaux usées de l’agglomération lausannoise, soit environ 90‘000 m3 par jour, sont rejetées à 700 m des côtes dans le Léman par une conduite débouchant dans la baie de Vidy à 30 m de profondeur. Lausanne ne possède ni industrie pharmaceutique ni élevage industriel mais en plus des 214'000 habitants de la région lausannoise et de plusieurs petits centres de soin, un grand complexe hospitalier, le CHUV, est également raccordé à la station d’épuration de la ville. Etant donné la progression incessante de la résistance aux antibiotiques révélée par de nombreuses études menées dans le domaine hospitalier et vétérinaire, un groupe de chercheurs a tenté de savoir si cette résistance pouvait gagner le milieu naturel, en l’occurrence le lac Léman, par le biais des stations d’épuration. La résistance aux antibiotiques a été évaluée en parallèle par des tests classiques de croissance sur milieu gélosé et par des analyses génétiques sophistiquées.
L’étude qui rassemble une quantité jusque là inégalée de données sur les eaux usées et les eaux et sédiments lacustres présente d’une part des résultats prévisibles, notamment un nombre particulièrement élevé de germes multirésistants dans les effluents du CHU. Mais elle a également révélé un phénomène étonnant : alors que la station d’épuration élimine plus de 75% de la totalité des bactéries contenues dans les eaux usées, les eaux traitées renferment une proportion accrue de souches particulièrement résistantes. D’après le microbiologiste Helmut Bürgmann, les conditions d’épuration créeraient une sorte de vivier favorable aux échanges de séquences génétiques responsables de la résistance aux antibiotiques. En effet, les bassins mettent en contact des bactéries normalement présentes dans le corps humain avec des bactéries déjà adaptées au milieu environnemental à des densités favorisant les échanges de séquences mobiles. «Le fait que des bactéries soient capables d’intégrer une capacité de résistance n’a rien d’exceptionnel et ce phénomène n’est pas une menace en soi», déclare Bürgmann, «l’élément nouveau, c’est que la fréquence des cas de multirésistance dans le lac - et dans le sédiment - augmente a proximité du point de rejet des effluents d’épuration.» Le risque de transmission de gènes de résistance à des bactéries pathogènes se voit donc augmenté à plus ou moins long terme, estime le spécialiste. Cela peut se produire dans le lac ou bien dans le corps humain si des séquences mobiles de résistance aux antibiotiques se retrouvent dans l’eau potable.
D’après Nadine Czekalski, qui a réalisé la majeure partie des études dans le cadre de son travail de doctorat, la situation n’est pas alarmante. Un important captage d’eau potable qui se trouve à 3 km du point de rejet des effluents d’épuration a été étudié. Alors, que des signes de multirésistance ont été observés dans les sédiments de la zone de captage, les eaux environnantes en restaient exemptes. D’autre part, les eaux du lac subissent un traitement avant d’être distribuées dans le réseau d’eau potable. Toutefois, Czekalski et Bürgmann considèrent tous deux que, selon le principe de précaution, il convient d’intervenir au niveau des rejets. En effet, près de 15% des eaux usées suisses sont déversées en lac après leur épuration et le cas de la baie de Vidy n’est certainement pas unique dans le pays. Les chercheurs entrevoient plusieurs pistes : ils estiment d’une part que les traitements complémentaires prévus dans une sélection de stations d’épuration pour l’élimination des micropolluants organiques constituent une solution intéressante puisqu’ils permettent également de neutraliser une grande partie des bactéries résistantes. Ils considèrent d’autre part qu’un traitement séparé des effluents hospitaliers serait indiqué étant donné que les germes les plus résistants en proviennent.