Détail
Des effets indésirables avec effet domino
23 novembre 2022 |
D’innombrables substances chimiques utilisées au quotidien, tels que des pesticides, des substances pharmaceutiques et des produits chimiques industriels, finissent tôt ou tard dans les fleuves, les lacs et les eaux souterraines. En règle générale, elles doivent subir une évaluation des risques pour l’environnement avant d’être autorisées afin qu’elles ne causent pas de dégâts. Ce procédé teste le niveau de toxicité d’un produit chimique déterminé sur différents organismes de l'environnement naturel, et notamment les poissons. Dans le monde entier, de nombreux efforts sont faits pour que ce type de tests sur l’écotoxicité soient menés sans recourir à des animaux vivants.
Développer un concept innovant
Pour remplacer les tests in vivo sur les poissons, l’Eawag, l’ancien spin-off Eawag aQuaTox-Solutions et l’Institut national de biologie slovène, proposent une nouvelle approche. Après avoir gagné 100‘000 livres lors de la phase 1 du CRACK IT Challenge «SAFE – innovative Safety Assessment of Fish adverse Effects» du «National Centre for the Replacement, Refinement and Reduction of Animals in Research» (NC3R), les chercheuses et chercheurs ont reçu 700‘000 livres supplémentaires (environ 800'000 francs suisses) pour amener le procédé à maturité pour le marché.
La phase 2 dure trois ans et sera soutenue par les partenaires industriels AstraZeneca, Bayer et Unilever. Pour le développement du nouveau système de test, les scientifiques misent sur un concept pas encore très employé pour l’évaluation des risques: les Adverse Outcome Pathways (AOP).
Questions à la Prof. Kristin Schirmer (cheffe du département Toxicologie de l'environnement) et Stephan Fischer (CEO d'aQuaTox-Solutions)
Que sont les AOP et comment fonctionnent-elles pour l’évaluation des risques environnementaux?
K. Schirmer: Adverse Outcome Pathways signifie «parcours de résultats néfastes». L’idée est de comprendre comment les produits chimiques agissent sur un organisme vivant. Les AOP décrivent diverses étapes pouvant engendrer de la toxicité – d'abord au niveau moléculaire puis dans la cellule, les tissus et finalement dans tout l'organisme, comme un effet domino. On mesure traditionnellement «le résultat néfaste» final par une expérimentation animale: un poisson ne grandit plus, ne se reproduit plus ou, au pire, meurt. Mais comment en est-on arrivé là? Nous pouvons mesurer ces voies de formation (c’est-à-dire les AOP) dans des cultures cellulaires – il faut simplement trouver les bonnes combinaisons qui peuvent nous prédire avec précision le résultat final. C’est ici que nous intervenons. Nous formulons l’hypothèse de pouvoir mesurer les AOP à l’aide de cultures de cellules de poissons appelées lignées cellulaires. Les données de mesure sont ensuite introduites dans un modèle informatique, de sorte qu’à l’avenir il suffise d’observer ces processus dans les cultures de cellules pour calculer l’effet sur un organisme, dans notre cas les poissons, sans avoir à effectuer d’expérimentations animales.
Vous avez déjà développé des tests qui permettent d’évaluer les effets des produits chimiques sur des cellules de poissons plutôt que sur des poissons. Les tests des AOP en sont une prolongation. Pourquoi est-ce nécessaire?
S. Fischer: Oui, aQuaTox-Solutions possède dans son portefeuille toute une série de tests sur les cultures de cellules de poissons que nous proposons à l'industrie chimique, aux autorités de protection de l’environnement et aux fabricants de nourriture pour poissons comme alternative aux tests d’évaluation des risques sur les poissons. Le test de lignée cellulaire RTgill-W1 pour déterminer la toxicité aigüe sur les poissons est un précurseur de ces tests sur les cellules de poissons. Il a été développé par l’Eawag et porte désormais le label de qualité ISO et celui de l’OCDE. Néanmoins, pour la majorité de ces tests, nous n’étudions pas pour l'instant les voies de formation de la toxicité, mais, comme avec une expérimentation animale, nous mesurons seulement le résultat final, c’est-à-dire la survie des cellules ou leur croissance par exemple. En élargissant aux AOP, nous visons une résolution encore meilleure des effets chimiques et, par conséquent, des tests plus sensibles et plus largement utilisables.
Quel est le résultat recherché et par qui sera-t-il utilisé?
K. Schirmer: Notre projet vise à recourir à des tests cellulaires extensibles combinés à des modèles informatiques de telle manière qu’ils fournissent des informations sur l’effet des produits chimiques sur les poissons sans recourir à l’expérimentation animale. Pour ce faire, nous nous concentrons sur des produits chimiques qui empêchent la reproduction des poissons. Durant la phase 1 de ce projet, nous avons développé un nouveau pipeline de calcul à plusieurs niveaux qui nous permet d’identifier les processus moléculaires qui peuvent prédire si le produit chimique perturbe la reproduction des poissons. Nous souhaitons à présent démontrer ces processus dans des lignées de cellules de poissons et développer des modèles de prédiction informatiques pour les poissons à partir de ces données.
S. Fischer: Nous diffuserons largement les connaissances acquises et les services et produits développés afin de garantir un bénéfice maximal pour le remplacement des tests sur les animaux. Le fait que l'industrie chimique support ce concours montre qu’il existe un réel besoin. Il ne s’agit pas uniquement d’évaluer les risques des produits chimiques destinés à être introduits sur le marché, mais aussi de fournir un développement de produits plus efficace afin d’exclure d’emblée les produits chimiques ayant des effets toxiques sur les poissons. D’autres applications potentielles concernent l’aquaculture ou les tests d’échantillons environnementaux.
Qu’est-ce qui vous a poussé à relever ce défi?
Tous les deux: C'est comme si ce challenge était fait pour nous. Nous travaillons depuis longtemps à l’idée de remplacer les expérimentations sur les poissons par des lignées de cellules de poissons et de standardiser ce type de tests, de même qu'à les relier à des modèles informatiques. Relever ce défi nous tient beaucoup à cœur, et recevoir ce supplément est un grand honneur et un encouragement.
Photo de couverture: Les cultures de cellules de poissons, visibles ici sous le microscope, sont un élément clé important pour le développement de tests sur la toxicologie environnementale sans expérimentation animale. (Photo: Mallaun Photography)
Financement / Coopération
- Eawag
- aQuaTox-Solutions
- Institut national de biologie en Slovénie
- Centre britannique pour le remplacement des expérimentations animales (NC3R)
- AstraZeneca
- Bayer AG
- Unilever
- Agences environnementales britanniques DEFRA et «Environment Agency»
- Agence britannique pour la santé et la sécurité «HSE»