Détail

La faune piscicole du lac des Quatre-Cantons caractérisée

19 juillet 2017 | Andri Bryner

Le lac des Quatre-Cantons est un élément marquant de la Suisse centrale dont la diversité des paysages n'a d'égale que la richesse de la faune. Dans le cadre de l'étude nationale « Projet Lac », le peuplement pisciaire du lac a été recensé pour la première fois de façon quantitative et standardisée. Certains secrets sont alors remontés à la surface.

Jusqu'à présent, notre connaissance des espèces de poisson présentes dans un lac reposait principalement sur les captures des pêcheurs amateurs et professionnels. Or ceux-ci se concentrent sur certaines espèces et certaines tailles. Leurs captures ne reflètent donc pas la composition réelle du peuplement piscicole. Pour pallier cet écueil, l'Eawag a mis en place le « Projet Lac » avec plusieurs partenaires issus des institutions fédérales et cantonales et de la recherche afin de recenser l'ichtyofaune de différents lacs périalpins avec des méthodes standardisées et d'établir des comparaisons. Les inventaires ont été effectuées par échosondage, par capture avec différents types de filets de différents maillages et au moyen de pêches ciblées dans les habitats littoraux (Fig. 1). Les poissons capturés ont été identifiés, mesurés, pesés et photographiés. Une collection de référence a été constituée au Musée d'Histoire Naturelle de Berne, rassemblant jusqu'à une trentaine d'exemplaires de chaque espèce capturée dans chaque lac.

Fig. 1 : Le peuplement pisciaire a été évalué à l'aide de plusieurs méthodes complémentaires.
Les inventaires ont été effectués par hydroacoustique (échosondeur), par pêche à filets verticaux et horizontaux de différents maillages (filets benthiques et pélagiques), et par pêche électrique ciblée dans les milieux littoraux.

Dominé par l’albeli et l'omble chevalier

Le rapport sur le lac des Quatre-Cantons a maintenant été publié. Pour sa réalisation, 252 actions de pêche ont été menées pendant six jours, conduisant à la capture de 2479 individus répartis sur 21 espèces. Les poissons les plus fréquemment capturés étaient les perches fluviatiles mais l'ablette, le gardon, l'albeli (un corégone), l'omble chevalier et la grémille, non indigène, étaient également bien représentés. Toutefois, les actions de pêche n'ont pas permis d'explorer tous les milieux avec la même intensité. En extrapolant les données en fonction de la dimension réelle des habitats présents, il apparaît que l'ichtyofaune du lac des Quatre-Cantons est dominée par l'albeli et l'ombre chevalier.

Un autre choix que la perche et le corégone dans nos assiettes ?

Conformément aux attentes des chercheurs, les captures des pêcheurs professionnels se distinguaient nettement de l'inventaire standardisé du « Projet Lac ». Alors que l'albeli et les autres corégones constituaient plus des deux tiers de la pêche des professionnels, ils ne représentaient que la moitié des poissons recensés dans le projet qui comptaient une plus forte proportion d'ombles chevaliers et de cyprinidés (carpes et apparentés) (Fig. 2). Les pêcheurs professionnels du lac des Quatre-Cantons devraient-ils donc s'intéresser à d'autres espèces ? « Les données dont nous disposons ne permettent pas à elles seules d'émettre de recommandations concrètes, indique Timothy Alexander, le coordinateur du projet. Nous devons en savoir plus sur la reproduction et la croissance des autres espèces. En effet, il se peut très bien que ces dernières ne soient aujourd'hui si fréquentes que parce qu'elles ne sont pas pêchées. » Le chercheur estime par ailleurs qu'avant de réorienter la pêche, il conviendrait de s'assurer que les nouvelles espèces soient acceptées par les consommateurs.

Fig. 2 : Lac des Quatre-Cantons : Comparaison des captures de la pêche professionnelle de 2010 à 2013 et des captures standardisées du « Projet Lac ».

Un degré d'artificialisation du littoral de près de 60%

La présence d'habitats littoraux naturels et structurés est importante pour la vitalité et la diversité de la faune piscicole. Un volet du « Projet Lac » était donc consacré à l'étude de l'état écologique des zones de bordure. Pour le lac des Quatre-Cantons, cette étude a montré que seules près de 41 % des rives sont encore naturelles. 59 % sont plus ou moins fortement artificialisées, en particulier les zones peu profondes et les affluents. C'est donc à leur niveau qu'il serait particulièrement pertinent d'engager des mesures de réhabilitation écologique (Fig. 3a et 3b).

Fig. 3a : Degré d'artificialisation des rives du lac des Quatre-Cantons.

Fig. 3b : Exemple d'une rive artificialisée.

Où les poissons vivent-ils ?

Les poissons ne sont pas répartis au hasard au sein d'un lac. Même si, en raison de la bonne oxygénation du lac des Quatre-Cantons, des poissons peuvent y être capturés jusqu'à 100 m de profondeur, c'est entre 0 et 10 m que la plus forte densité a été observée. Mais la distribution des espèces capturées en fonction de la profondeur est également intéressante : en été, au moment de l'inventaire, les perches, les albelis et les ombles chevaliers se tenaient à des profondeurs bien distinctes (Fig. 4).

Fig. 4 : Les perches, les corégones et les ombles chevalier (dont celui des profondeurs) occupent apparemment des profondeurs bien distinctes dans le lac des Quatre-Cantons. (Nombre de poissons corrigé par la surface de filet (catch per unit effort, CPUE)).

Une particularité du lac des Quatre-Cantons

Le lac des Quatre-Cantons est un bon exemple de lac initialement pauvre en nutriments ayant subi de forts apports de matière nutritives des années 1950 aux années 1990. Aujourd'hui, son peuplement pisciaire correspond à nouveau à celui d'un lac pauvre. Toutefois, il semble moins riche en corégones que d'autres lacs pauvres en nutriments n'ayant jamais connu d'eutrophisation. En revanche, l'omble chevalier y est très abondant. En regard de la composition de l'ichtyofaune, le lac des Quatre-Cantons se situe entre un lac à corégones et un lac à ombles typique (Fig. 5).

Fig. 5 : Comparaison du peuplement des différents lacs. « Lucerne » désigne l'ensemble du lac des Quatre-Cantons (sans le lac d'Alpnach). 

Une découverte surprenante

Parmi tous les lacs périalpins étudiés dans le « Projet Lac », celui des Quatre-Cantons présente la plus forte densité d'ombles chevaliers. Seuls les lacs de montagne tels que le Lago di Poschiavo et le lac de Sils en ont présenté une densité supérieure. Par ailleurs, les chercheurs ont eu la surprise de redécouvrir l'omble des profondeurs dans l'Urnersee, un omble uniquement signalé dans d'anciennes publications. De manière générale, les ombles du lac des Quatre-Cantons se sont présentés dans une incroyable diversité de formes. La question se pose de savoir s'il s'agit simplement de formes d'une même espèce ou déjà d'espèces à part entière. Seules des analyses poussées permettent de trancher sur la question (voir box). Les résultats du « Projet Lac » montrent qu'il est nécessaire d'effectuer des actions de pêche standardisées dans tous les habitats d'un lac pour obtenir une évaluation objective de la composition en espèces de l'ichtyofaune. L'estimation ainsi obtenue est très différente de celle livrée par les récoltes de la pêche professionnelle grandement axées sur les corégones. Les méthodes du « Projet Lac » facilitent d'autre part les comparaisons entre lacs. Enfin, elles livrent un instantané de la faune qui, de par son caractère standardisé, peut servir de référence pour suivre l'évolution du peuplement pisciaire du lac des Quatre-Cantons.

Un petit « saumon » dans les profondeurs du lac
Comme les truites et les saumons, les ombles font partie de la famille des salmonidés. En Suisse, deux formes d'omble vivant dans les profondeurs lacustres ont été décrites en tant qu'espèces : l'une dans le lac de Neuchâtel, l'autre dans celui de Constance. Toutes deux étaient considérées comme éteintes jusqu'à ce que, en 2014, des chercheurs redécouvrent l'espèce du lac de Constance dans le cadre du « Projet Lac ». Vers 1950, Paul Steinmann avait noté la présence d'un type d'omble vivant dans les eaux profondes du lac des Quatre-Cantons mais cet omble n'avait, jusqu'à présent, jamais fait l'objet d'une description taxonomique et ne disposait donc d'aucune dénomination officielle ni ne figurait dans les listes d'espèces répertoriées. Cette forme d'omble n'a plus jamais été officiellement relevée depuis, même si des exemplaires différents des ombles habituels ont été pêchés de temps à autre. Les analyses génétiques montreront si les poissons vivant à plus de 60 m de profondeur appartiennent à une espèce à part entière ou s'ils constituent simplement une forme écologiquement distincte de l'omble chevalier. D'après le coordinateur du projet, Timothy Alexander, sa parenté avec les autres ombles du lac des Quatre-Cantons semble en tout cas plus étroite qu'avec l'omble des profondeurs du lac de Constance. Une information peut cependant être retenue : cet omble semble pondre en été dans les eaux profondes du lac puisque le poisson capturé était une femelle portant des œufs.

Un poisson beaucoup plus petit que l'omble chevalier habituel, aux yeux plus grands, aux couleurs blafardes et à la morphologie différente : c'est l'omble des profondeurs du lac des Quatre-Cantons.

Le rapport ici complété a déjà fait l'objet d'une publication dans le magazine d'information de la commission intercantonale de surveillance du lac des Quatre-Cantons (6/2017).