Détail

Les pyréthrinoïdes en ligne de mire

4 novembre 2019 | Andri Bryner

Les analyses, qui permettent depuis peu de mesurer les pyréthrinoïdes et les organophosphorés à très faible concentration, montrent que le risque émanant de ces insecticides pour les organismes aquatiques peut surpasser celui dû à tous les autres produits phytosanitaires.

Les insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés protègent efficacement les cultures telles que le colza, même à très faible concentration. Mais ils constituent aussi une menace pour les organismes aquatiques dès qu'ils parviennent dans leur milieu. Jusqu'à présent, ils passaient entre les mailles du filet de la surveillance environnementale car leur quantification exige des techniques très spéciales, aussi bien au niveau de l'échantillonnage que des analyses. En effet, ces substances se dégradent au bout de quelques jours dans les échantillons d'eau non réfrigérés et les appareils de mesure doivent être capables de mesurer des concentrations de l'ordre du picogramme par litre (milliardième de milligramme).

Plus toxiques que tous les autres produits phytosanitaires réunis

Les insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés représentent moins d'un pour cent des pesticides utilisés en Suisse à des fins phytosanitaires. Pourtant, une étude paraissant aujourd'hui dans la revue Aqua & Gas montre que, dans cinq ruisseaux examinés sur six, leurs concentrations excèdent régulièrement les critères de qualité au-delà desquels des effets chroniques et parfois même aigus sont à craindre chez les organismes aquatiques. Face à ce danger, la Confédération est déjà entrée en action : elle prévoit l'interdiction de deux organophosphorés, le chlorpyrifos et le chlorpyrifos-méthyle.

C'est dans le Beggingerbach et pour les invertébrés que le risque évalué par les scientifiques était le plus élevé. Dans ce ruisseau, la qualité de l'eau était médiocre à mauvaise pendant toute la durée de l'étude, soit huit mois. Des mesures effectuées dans le Chrümmlisbach ont permis d'effectuer des comparaisons avec d'autres produits phytosanitaires dosés pendant la même période. Il est apparu que les pyréthrinoïdes et les organophosphorés généraient un risque plus élevé pour les invertébrés que tous les autres produits phytosanitaires mesurés réunis. En moyenne, la différence était d'un facteur 2,5 mais pouvait atteindre un facteur 50.

Une méthode de détection développée par l'Eawag

Les échantillons ont été prélevés de mars à octobre 2018 dans six petits cours d'eau du Plateau suisse : le Bainoz (FR), le Ballmoosbach (BE), le Beggingerbach (SH), le Boiron de Morges (VD), le Chrümmlisbach (BE) et le Ron (LU). Le Chrümmlisbach avait déjà fait l'objet de prélèvements en 2017. Pour éviter les pertes de substances, les échantillonneurs ont dû être réfrigérés et les échantillons composites transportés sans réchauffement à l'Eawag. Au laboratoire, ces échantillons ont été préparés de façon à pouvoir détecter aussi bien les composés liés aux particules en suspension que les composés dissous. Les analyses ont ensuite été effectuées par chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Grâce à toutes ces précautions, la détection des substances actives était possible, à quelques exceptions près, à des concentrations inférieures à celles à partir desquelles un risque existe.

Des concentrations plus sous-estimées que surestimées

Pour évaluer le risque d'effets chroniques, l'idéal est de composer des échantillons moyennés à partir de prélèvements effectués pendant deux semaines. Ces échantillons moyennés sont parfaits pour le risque chronique mais ne conviennent pas toujours à l'évaluation d'un risque aigu dû à des pics de concentration car ces derniers s'y trouvent lissés. Il faut par ailleurs garder à l'esprit que, malgré la réfrigération des échantillons jusqu'à leur analyse, un taux de perte d'environ 40 % par semaine reste vraisemblable.

Une intégration prochaine dans les contrôles de routine

Pour connaître l'état réel des cours d'eau suisses, il semble donc désormais inévitable de quantifier les insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés. Grâce à la collaboration fructueuse de l'Eawag avec les laboratoires cantonaux de la protection des eaux et la plateforme Qualité de l'eau de l'Association des professionnels de la protection des eaux (VSA), cinq laboratoires disposent déjà des techniques permettant l'analyse de routine de ces insecticides dans un domaine de concentration de l'ordre du picogramme par litre.

Les insecticides pyréthrinoïdes

Le pyrèthre est un insecticide naturel produit par certains chrysanthèmes. Les pyréthrinoïdes de synthèse ont été élaborés sur ce modèle en augmentant la stabilité et la puissance d'action. Neurotoxiques, ils agissent par contact sur les insectes en bloquant les canaux ioniques des membranes des cellules nerveuses. Ils sont employés pour lutter contre les insectes ravageurs, notamment dans la culture de la pomme de terre, des betteraves, du colza, des légumes et des fruits. Certaines substances actives ont également des emplois non agricoles – pour la protection du bois en grumes en forêt ou pour des usages biocides dans un contexte domestique, par exemple. Les pyréthrinoïdes sont considérés comme les plus toxiques des produits phytosanitaires. Aux concentrations mesurées dans les six ruisseaux de l'étude, ils peuvent causer des dommages à l'échelle de la cellule, de l'organe ou de l'individu chez les invertébrés et les poissons.

Photos

Analyse sélective et efficace des pyréthrinoïdes contenus dans les extraits par spectrométrie de masse en tandem couplée à la chromatographie gazeuse. Sur la photo : Michael Patrick, assistant scientifique au département de Chimie de l'environnement de l'Eawag.
Photo : Alessandro della Bella, Eawag

Michael Patrick, assistant scientifique au département de Chimie de l'environnement de l'Eawag, procédant à une extraction liquide-liquide pour extraire et concentrer les pyréthrinoïdes contenus dans les échantillons d'eau.
Photo : Alessandro della Bella, Eawag

Financement / partenariats

Les études ont été réalisées en partenariat avec les services cantonaux et financées par l'Office fédéral de l'environnement.

Partenaires

  • Plateforme Qualité de l'eau du VSA
  • Centre Ecotox

Données originales

Les ensembles de données de cette étude sont disponibles sous forme de données de recherche ouvertes:
https://doi.org/10.25678/0001c7