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Cytométrie en flux en ligne : une technique de détection de concentrations bactériennes

La cytométrie en flux a révolutionné la surveillance de la qualité bactériologique de l’eau. Grâce à son automatisation, cette révolution se poursuit. Après un travail fondamental fructueux, un chercheur de l’Eawag crée maintenant une entreprise dans ce domaine.

La qualité bactériologique de l’eau continue en général à être déterminée de façon laborieuse grâce à une méthode plus que centenaire : la culture bactérienne sur milieu gélosé. Or, au cours des dix dernières années, la cytométrie en flux a fait sa percée en tant que méthode de mesure microbiologique moderne – notamment grâce aux travaux de recherche de l’Eawag. Au lieu d’attendre le développement des bactéries 24 heures ou parfois plus longtemps, celles-ci peuvent être décomptées en quelques minutes avec précision par balayage au rayon laser grâce à leur marquage fluorescent. 

Procédé automatisé depuis la coloration jusqu’au nettoyage

Si on veut saisir la dynamique microbiologique d’une source pendant des heures ou des journées, ce n’est pas une mince affaire, même avec la cytométrie en flux. Chaque échantillon doit être prélevé à la source, puis préparé et mesuré en laboratoire. C’est ce qui a amené l’équipe de recherche Microbiologie de l’eau potable à développer un système automatisé pour des mesures par cytométrie en flux à haute résolution temporelle (Fig. 2). 

Fig. 2: Système entièrement automatisé de cytométrie de flux en ligne, composé d’un cytomètre de flux usuel (rouge/blanc) et d’un module d’automatisation développé de l’Eawag (bleu).

Au lieu d’entrer manuellement chaque échantillon dans le cytomètre en flux, c’est une unité couplée qui effectue désormais toutes les étapes de manière autonome, depuis le prélèvement de l’échantillon jusqu’au nettoyage de l’appareil en passant par la préparation des échantillons et la coloration de l’ADN/ARN. Le système de mesure entièrement automatisé peut être installé directement sur place, par exemple près d’une source ou d’une station d’épuration et fournir, à partir de là et pendant des mois, des séries de mesure à haute résolution temporelle des concentrations bactériennes. Cela permet pour la première fois de mettre à disposition des dizaines de milliers de mesures portant sur la qualité microbiologique de l’eau – un trésor d’informations jusque-là impensable. 

Détecter les périodes à risque

Les applications de la cytométrie en flux automatisé ont été testées en détail dans des systèmes naturels et techniques. C’est Michael Besmer qui a réalisé la plupart de ces tests dans le cadre de la thèse qu’il a rédigée à l’Eawag sur le projet « Approvisionnement régional en eau Bâle-Campagne 21 ». Un grand nombre de réseaux d’approvisionnement en eau de l’arc jurassien utilisent l’eau de résurgences. Comme les eaux de pluie et de surface – et par conséquent aussi des polluants – peuvent s’infiltrer très rapidement par les fissures et cavités typiques du karst dans les nappes phréatiques, la qualité de l’eau pose un problème particulier dans ces régions. Jusqu’ici, on a essayé de saisir les pertes de qualité de l’eau en mesurant certains facteurs (comme par ex. sa conductivité, sa turbidité, son pH) afin de déconnecter les captages d’eau à temps du réseau. Dans le cadre de ce projet, de telles résurgences ont fait pendant des semaines l’objet de mesures répétées automatiquement tous les quarts d’heure. Par temps de sécheresse, les concentrations bactériennes étaient très faibles et stables. Les averses de pluie entraînaient en l’espace de quelques heures des pics de pollution nets qui mettaient plusieurs jours à s’atténuer. De tels constats aident la compagnie des eaux concernée à mieux détecter les périodes à risque accru et à prendre des mesures modulables pour assurer la qualité de l’eau. « Nous savons maintenant où, quand et comment il faut être plus attentif », résume M. Besmer. Cette démarche permet de mieux comprendre et d’optimiser de manière plus ciblée certains processus non seulement dans des écosystèmes naturels, mais aussi dans des processus technologiques comme le traitement de l’eau. 

Fig. 3: Mesure en ligne constante de la concentration totale (vert) dans de l’eau de source toutes les 15 minutes pendant 3 semaines et des précipitations dans la région (bleu).

De la recherche à l’industrie

Au cours de sa thèse, Michael Besmer avait déjà remarqué l’importance de l’intérêt suscité par cette technologie dans la recherche et la pratique. Cela l’a incité à fonder avec des co-équipiers une spin-off de l’Eawag. Cette dernière repose sur les appareils développés avec deux dépôts de brevet et des connaissances acquises sur les dynamiques microbiologiques. Compte tenu de l’émergence du marché, un grand nombre de clients apprécient en particulier les compétences techniques et les conseils qui vont au-delà de la vente des appareils. Grâce au succès de la coopération sur le terrain en Suisse, mais aussi avec des groupes de recherche internationaux et avec des partenaires industriels, Besmer peut s’en donner à cœur joie. Sur le plan technologique, l’Eawag et la spin-off misent sur l’unité d’automatisation mentionnée qui peut être connectée en principe avec tout cytomètre en flux usuel. Ses atouts résident dans sa grande flexibilité, car celle-ci permet de répondre aux multiples desideratas des clients. Besmer estime qu’il ne faut pas non plus sous-estimer sa haute fiabilité, si l’on en croit des articles scientifiques de revues professionnelles.

Un détecteur de bactéries en temps réel pour bientôt ?

Le chef de groupe Frederik Hammes, qui a assuré le suivi de la thèse de M. Besmer, est convaincu du potentiel de la cytométrie en flux en ligne. Il se félicite en particulier de la mise en pratique rapide de cette innovation dans le projet de Bâle-Campagne. Les crédits accordés en plus par la Direction de l’Eawag pour financer de nouveaux appareils en valaient donc largement la peine. Tandis que Besmer s’occupe dans sa nouvelle société "onCyt" d’optimiser l‘appareil, Hammes forge des projets visant d’autres applications de cette technologie dans la recherche fondamentale et appliquée. A l’ordre du jour, une version disposant d’une résolution temporelle encore plus élevée, dans laquelle le cytomètre en flux en ligne fera office pour ainsi dire de détecteur de bactéries. En le montant sur un bateau, on pourrait longer par exemple une côte et saisir en permanence la concentration bactérienne de l’eau due par exemple aux eaux usées.

La dynamique microbiologique devient visible
La cytométrie en flux automatisé permet de suivre régulièrement des dynamiques microbiologiques en détail. On a pu ainsi mesurer tous les quarts d’heure dans un grand immeuble le nombre total de microorganismes s’écoulant d’un robinet ouvert : ses variations journalières typiques ont pu être documentées avec une hausse des concentrations bactériennes la nuit et une baisse rapide le matin – lorsque de l’eau est de nouveau utilisée dans d’autres endroits du bâtiment. Dans une rivière, la cytométrie en flux automatisé a permis de montrer les variations journalières dictées par la photosynthèse et de constater une augmentation des microorganismes après une averse. Ses applications dans un réseau d’approvisionnement en eau potable plus important ont aussi été intéressantes : la démonstration de modèles microbiologiques après le traitement et le remplissage des réservoirs permet désormais aux exploitants d’optimiser leurs processus. 

Interview

Tout seul, on ne peut pas tout faire

Interview avec Michael Besmer, CEO onCyt Microbiology AG

Pourquoi as-tu décidé de fonder ta propre société ?
Je n’ai jamais rêvé de devenir entrepreneur. Mais j’ai eu la possibilité de pouvoir préparer ma thèse sur un projet pratique intitulé « Approvisionnement régional en eau Bâle-Campagne 21 ». J’ai eu la chance énorme en créant cette spin-off de poursuivre le travail passionnant que j’avais commencé et de rester dans ce domaine. Je suis convaincu du potentiel de notre méthode et de son intérêt aussi bien scientifique que commercial. En utilisant la cytométrie en flux automatique, notamment dans le secteur de l’approvisionnement en eau, nous faisons quelque chose de sensé qui revêt beaucoup d’importance pour mon travail.

Avez-vous déjà des recettes ?
Nous avons démarré en mars. Jusqu’ici, je ne me suis pas encore versé de salaire afin de constituer des liquidités pour la nouvelle société. Mais maintenant que les premières commandes arrivent, je vais gagner au moins autant que pendant ma thèse. Nous envisageons d’ores et déjà d’embaucher quelqu’un en plus et, au plus tard à la fin de l’année, je devrais toucher un salaire de niveau post-doc. Bien sûr, le soutien que l’Eawag nous accorde vaut naturellement son pesant d‘or. Autrement, une start-up ne pourrait guère se permettre d’avoir un laboratoire aussi bien équipé et d’utiliser des appareils onéreux.

Et maintenant ? Guettez-vous la meilleure offre d’achat ou avez-vous peur que quelqu’un ne copie votre idée ?
Non, sûrement pas, mais nous sommes bien évidemment en quête de partenariats et restons ouverts à tout. Néanmoins, nous ne pourrons attirer des acheteurs que si nous faisons du bon travail. Il est évident que le dépôt de brevets n’empêchera personne d‘imiter notre technologie. Mais, selon nous, notre grande expertise est un atout. De ce fait, nous sommes en mesure d’aborder les clients tout à fait différemment et de leur montrer que l’utilisation des appareils peut générer une véritable valeur ajoutée. Cela est nettement plus difficile à copier. En outre, nous travaillons sur de nouveaux développements et de nouvelles idées que nous souhaitons réaliser rapidement, en premier lieu grâce à la proximité avec la recherche.

Avez-vous aussi traversé des crises lors de la création de votre propre société ?
L’an dernier, j’ai vraiment travaillé d’arrache-pied. En dehors de la thèse que je voulais terminer et du rapport de projet détaillé, j’ai dû procéder à des travaux de clarification et de préparation en vue de la spin-off. L’été, j’ai travaillé sept jours sur sept et j’ai dû délaisser ma famille et mes amis. Mais le résultat est scientifique et maintenant aussi très satisfaisant au niveau de l’entreprise. Nous n’avons pu atteindre ces résultats que grâce au soutien formidable des accompagnateurs et collègues, mais aussi de l’Eawag en tant qu’institution et de mon environnement personnel.

Quelle recommandation ferais-tu aux autres chercheurs qui ont une idée de start-up ?
Mettez-vous en quête de partenaires qui vous aideront et vous serviront aussi de sparring-partner. On ne peut pas tout faire tout seul, même si, en fait, on y est habitué en tant que chercheur. Contrairement à la recherche, une bonne idée technologique ne s’impose pas automatiquement sur le marché. En l’occurrence, l’aide d’instruments comme le programme Start-up de la CTI est très utile. Pour éviter de mauvaises surprises, il est possible et conseillé de bien cerner en amont le potentiel de l’invention. Cela dit, le moment arrive où il faut oser se lancer, que ce soit lors de la fondation ou aussi ultérieurement. Par ailleurs, j’estime qu’il ne faut pas travailler trop longtemps gratuitement ou pour un salaire de misère. Si l’entreprise n’est pas capable de payer des salaires respectables, elle ne pourra pas de toute façon survivre longtemps.