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Dans les rivières, la réalisation de mesures à long terme révèle les changements les plus infimes
30 août 2018 |
Depuis 1974, le programme NADUF (surveillance nationale continue des cours d’eau suisses) étudie l’état chimique des rivières en Suisse. « Le système de mesure initié par l’Eawag et la Division Hydrologie de l’Office fédéral de l’environnement était une nouveauté absolument inédite à l’époque », se rappelle Jürg Zobrist, ancien chercheur à l’Eawag. Le dispositif de mesure prélève en continu de petits échantillons d’eau, dès qu’une certaine quantité d’eau s’écoule dans la rivière, et les ajoute pour obtenir sur 2 semaines un échantillon composite. « Ainsi, il est possible non seulement de mesurer les concentrations dans les échantillons pondérés sur le débit, mais aussi de calculer les charges facilement », explique Zobrist, qui a participé à la mise en place du programme. À l’époque, les techniques d’analyse chimique étaient encore à mille lieues des possibilités actuelles sur le plan de leur automatisation et de leur sensibilité. Aujourd’hui, au laboratoire analytique de l’Eawag, on procède dans les prélèvements d’eau à la détermination d’une vingtaine de substances, dont le calcium, le magnésium et le bicarbonate, et de différents nutriments comme le nitrate ou l’azote total. De plus, le débit, la température de l’eau, l’oxygène, la conductivité électrique et le pH de l’eau sont mesurés en continu.
Entre-temps, Jürg Zobrist est à la retraite et ce sont Ursula Schönenberger et Stephan Hug qui poursuivent à l’Eawag l’évaluation des données NADUF. Cependant, Jürg Zobrist n’était pas encore prêt à lâcher prise. Ces dernières années, il a notamment examiné plus en détail le trésor de données disponibles et a procédé à une analyse statistique des mesures de paramètres géochimiques et de l’azote dans sept stations appartenant au réseau de mesure NADUF. « L’objectif était de démontrer les changements à long terme enregistrés entre 1974 et 2013 et de les expliquer », déclare Zobrist.
Carte des stations NADUF en 2017.
Les mesures de protection portent leurs fruits
Ses analyses montrent que les débits n’ont guère changé, alors que les températures des cours d’eau ont augmenté de 0,8 à 1,3 °C. Toutefois, cette hausse n’a pas été linéaire, mais est marquée par un bond des températures enregistré entre 1985 et 1990 – dans le Rhône, en aval de Genève, le thermomètre a grimpé de 1,1 °C, dans la Thur de 0,4 °C. « Un tel bond des températures a été observé dans toute l’Europe, dans les cours d’eau, les lacs, les nappes d’eau souterraines ou dans le sol », ajoute Zobrist.
Les concentrations et les charges en azote ont considérablement augmenté de 1982/83 à 1987/88. Elles reflètent avec un léger décalage l’intensification de l’agriculture responsable, au début des années 1980, des excédents d’azote les plus importants. En d’autres termes, on a utilisé plus de fumier de ferme et d’engrais chimiques que ce qui était éliminé à travers la récolte. De ce fait, les réserves d’azote organique ont fortement augmenté dans les sols, entraînant un accroissement des rejets d’azote dans le milieu aquatique. À cela s’est ajoutée la hausse exceptionnelle des températures dans le sol et l’eau à la fin des années 1980, qui a conduit à une augmentation de la mobilisation biologique de l’azote.
Depuis les années 1990, la charge totale en azote a nettement baissé – de près de 50 %. « Les modifications intervenues sur le terrain dans l’utilisation des engrais agricoles et l’amélioration de l’épuration des eaux, en particulier l’introduction de la dénitrification dans quelques grandes stations d’épuration des eaux, a porté ses fruits », estime Zobrist.
L’installation de prélèvement d’eau révolutionnaire de 1974 : L’eau de la rivière est acheminée vers la station avec un débit de 20 à 50 l/min à l’aide d’une pompe immergée. Dès qu’une quantité d’eau propre à la station s’est écoulée dans la rivière, les quatre gobelets de mesure (à 1 ml) sont plongés dans le courant d’eau continu de la station, puis vidés par rotation dans les conduites qui mènent aux bouteilles de prélèvement au réfrigérateur. Un échantillon composite contient ainsi 800 à 4000 sous-échantillons.
(Photo : Eawag, Jürg Zobrist)
Les processus géochimiques aussi évoluent
Il ne fallait pas s’attendre à de grands changements concernant les paramètres géochimiques, mais ils étaient mesurables. En effet, le calcium, le magnésium et le bicarbonate résultent de l’érosion de rochers de calcite et de dolomite dans le bassin versant des fleuves. Ce phénomène s’accompagne d’une capture du CO2 et le bicarbonate (HCO3-) qui en résulte se déverse dans les nappes aquatiques. Du CO2 sous forme de gaz s’échappe en partie dans l’atmosphère ou précipite à nouveau sous forme de calcite. Ces processus de base dans le cycle géochimique du carbone s’équilibrent, ils dépendent des conditions environnementales.
Les concentrations de bicarbonate ont augmenté. Pour Zobrist, le changement climatique en est en partie responsable : « Sous l’effet de la hausse de température d’environ 1,5 °C dans l’air, les microorganismes du sol ont repris de l’activité ; ils respirent plus et libèrent davantage de CO2. » Dans le sol humide, le CO2 se dissout pour former de l’acide carbonique. Le taux d’acide carbonique étant en hausse, l’érosion attaque davantage les roches, surtout les minéraux carbonatés, et les concentrations de bicarbonate augmentent. Ce processus a pu être quantifié à l’aide d’un programme classique d’équilibre CaCO3-CO2. En aval des lacs, la réoligotrophisation a aussi des conséquences : comme l’offre en phosphore a baissé pendant la période étudiée, la croissance des algues qui, grâce à la photosynthèse, séquestrent le CO2 a été inhibée dans les lacs. Et plus il y a de CO2 dans l’eau sous forme dissoute, moins il y a de calcite précipitée.
Des effets inverses se conjuguent
Dans la Thur, au niveau d’Andelfingen, la concentration en bicarbonates affiche une tendance inverse au cours des trois dernières décennies. D’une part, aucun lac ne se trouvant en amont du fleuve, la réoligotrophisation n’a aucun effet ici. De l’autre, il y a aussi des développements qui sont responsables du recul de l’érosion, estime Zobrist : « L’utilisation d’engrais acidifiants dans l’agriculture a reculé. En plus, les dépôts acides en provenance de l’atmosphère ont aussi diminué – par exemple grâce à la réduction de la teneur en soufre du mazout et surtout suite à la baisse des émissions de SO2 dans les pays de l’ancien bloc de l’est. » De ce fait, l’érosion de la calcite a diminué.
Les tendances à long terme montrent que le cycle géochimique du carbone est soumis à des changements et réagit aux influences humaines. « Les changements en question sont certes infimes, mais statistiquement significatifs », résume Zobrist, qui avec cette contribution met définitivement fin à ses activités de recherche.
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Station de prélèvement NADUF en bordure de la Glatt, à Rheinsfelden.
(Photo : OFEV)
Modification des concentrations de bicarbonate entre 1983 et 2013 relevées dans sept stations de mesure. La courbe lissée des séries de mesures sur plus de 5 ans est colorée, la ligne pointillée montre la tendance à long terme, calculée au moyen d’une régression linéaire.
Évolution des concentrations d’azote total (en rouge) et de nitrate (en vert), lissées sur 5 années, et du débit (en bleu) dans l’Aar, près de Brugg.