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Effets du changement climatique sur les écosystèmes limniques et terrestres
14 mars 2024
Lorsqu’il fait plus chaud, de nombreuses espèces sont contraintes de quitter leurs biotopes endémiques et de partir à la recherche de zones climatiques plus fraîches vers le nord ou en altitude. Localement, les espèces adaptées au froid peuvent disparaître et être remplacées par celles qui privilégient la chaleur. Au fil du temps, ces dernières s’imposent de plus en plus. Les scientifiques appellent «thermophilisation» ce déplacement des aires de répartition des espèces.
«Globalement, nous comprenons déjà relativement bien comment réagissent les communautés écologiques au changement climatique à terre et en mer et à quelle vitesse», explique Anita Narwani, responsable du groupe Biodiversité des algues et fonctions des écosystèmes à l’institut de recherche sur l’eau Eawag. «Mais il n’y avait pas encore ni analyse ni comparaison systématiques sur la réaction au réchauffement des communautés limniques par rapport à leurs homologues terrestres». Toutefois, ce sont précisément les biotopes dans les lacs et les cours d’eau qui présentent un grand intérêt. Leur biodiversité est disproportionnée par rapport aux environnements terrestres et marins, et, en parallèle, la raréfaction des espèces y est particulièrement marquée. De plus, les écosystèmes limniques comptent parmi les biotopes les plus sensibles aux influences humaines. Les limites spatiales marquées qui restreignent le potentiel de propagation des espèces sont probablement en cause ici.
Comparaison entre eau douce et terre
Dans le cadre de l’initiative de recherche «Blue-Green Biodiversity BGB», une équipe internationale de scientifiques dirigée par Anita Narwani et Christian Rixen du WSL Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF, a procédé pour la première fois à une analyse des espèces limniques et terrestres dans le cadre d’une étude systématique et mondiale. Elle a utilisé toutes les données disponibles à travers le monde, soit au total 13 324 jeux de données, dont 6201 communautés terrestres avec plantes, oiseaux, insectes et mammifères et 7123 communautés aquatiques avec poissons, insectes, phytoplancton et zooplancton. Les données englobent 17 431 espèces en tout sur des durées allant de 5 à 38 ans entre 1980 et 2019. «Mais étant donné que nous disposons de peu de données des régions tropicales et polaires, nos conclusions les plus importantes se limitent aux latitudes modérées», précise Anita Narwani.
«En matière de thermophilisation, nous avons constaté qu’il n’y a pas de différences significatives entre les écosystèmes limniques et terrestres. Nous observons donc le même schéma en eau douce et à terre: le glissement vers des espèces aimant la chaleur, tandis que celles adaptées au froid se font plus rares», résume Imran Khaliq, auteur principal de l’étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature Communications. Post-doctorant dans l’équipe d’Anita Narwani, il a procédé aux analyses. Toutefois, la vitesse de la thermophilisation en réaction au changement de température diffère: «À terre, la composition des espèces s’est modifiée plus vite», précise Imran Khaliq. «Cette différence pourrait être due au réchauffement plus lent de l’eau douce. Les communautés aquatiques sont moins forcées à réagir.»
Lorsque le climat change, la propagation des espèces change aussi. Localement, les espèces adaptées au froid peuvent disparaître et être remplacées par celles qui privilégient la chaleur. En science, ce processus est appelé thermophilisation. (Graphique: Eawag, illustrations de Biorender, istock.com et dreamstime.com)
La surprise: les espèces de plancton aimant le froid vont bien
Les communautés de plancton font exception; elles réagissent autrement qu’attendu. Les analyses indiquent que le changement climatique a profité aux espèces aimant le froid. «Ce résultat nous a surpris», déclare Imran Khaliq. «Et les raisons ne sont pas encore vraiment élucidées.» Une explication simple serait que les espèces aimant le froid vivaient autrefois dans des régions où les températures se situaient en dessous de leur température idéale ou privilégiée. Ce phénomène a déjà été observé pour des systèmes marins. Un réchauffement leur serait alors bénéfique dans un premier temps avant que la hausse des températures ne mette ces espèces sous pression, provoquant leur migration ou leur extinction. Le fait que les lacs et les rivières se soient réchauffés moins vite que les biotopes à terre semble confirmer cette hypothèse.
Une autre explication pourrait être que les espèces aimant le froid sont bien adaptées à d’autres changements environnementaux tels que la disponibilité de nutriments. La multiplication observée des espèces de plancton psychrophile pourrait aussi avoir une autre explication que le réchauffement planétaire. «Nous ne pouvons pas vérifier cette hypothèse avec les données dont nous disposons», explique Anita Narwani. Elle prépare actuellement un autre projet de recherche pour caractériser la répartition spatiale des espèces dans 240 lacs suisses et trouver une explication à cette observation surprenante.
Biodiversité élevée, résistance élevée
«Autre résultat intéressant: dans les écosystèmes terrestres, une grande biodiversité rend les communautés moins sensibles au changement climatique», ajoute Anita Narwani. «Les communautés riches en espèces réagissent donc plus lentement à la hausse des températures que les communautés plus pauvres.» Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne seront pas sous pression à un moment ou un autre. Cela pourrait juste prendre plus de temps. «L’extinction peut être retardée lorsqu’il y a un décalage entre la cause, en l’occurrence le changement climatique, et la disparition définitive d’une espèce. Et cette disparition définitive peut alors survenir très rapidement.» Les chercheuses et chercheurs ont certes observé une tendance similaire en eau douce, soit une résistance supérieure des communautés riches en espèces, mais cette tendance est beaucoup moins prononcée et non significative.
Les résultats de l’étude et la comparaison des écosystèmes aquatiques et terrestres aident à comprendre comment réagissent les communautés écologiques et d’où proviennent les différences de leurs réactions au changement climatique. «Il est crucial d’en connaître les raisons pour développer de meilleures stratégies de protection et de gestion des écosystèmes et pour identifier des espèces particulièrement vulnérables à l’extinction locale», résume Anita Narwani.
Initiative de recherche Blue-Green Biodiversity
Le projet de recherche «Blue and green food webs respond differently to elevation and land use» est une contribution à l’initiative de recherche Blue-Green Biodiversity, une collaboration entre l’Eawag et le WSL consacrée à la biodiversité à l’interface des écosystèmes aquatiques et terrestres. L’initiative est financée par le Conseil des EPF.
Photo de couverture: Vue de l’église Varone sur la zone alluviale du Bois de Finges avec le Rhône (vue en aval), bancs de gravier et terrasses fluviatiles sèches avec pinède. (Photo: Jan Ryser/OFEV)
Publications originales
Coopérations
- Institut de recherche sur l’eau Eawag
- Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL
- Département de zoologie, Government (defunct) post-graduate college, Pakistan
- EPF Zurich
- Université d’Amsterdam
- Université d’Helsinki
- Université de Berne
- Hintermann & Weber SA, Reinach
- Station ornithologique suisse de Sempach
- Université de Denison
- Institut de recherche et musée d’histoire naturelle Senckenberg de Francfort
- Université Goethe de Francfort