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«Je ne voyais aucune autre alternative»

22 novembre 2023 | Simone Kral

Pendant 24 ans, Tove Larsen, ingénieure chimiste, a œuvré et travaillé à l’Eawag: Elle était la première femme à l’Eawag à occuper une position de cadre dans le secteur de la gestion des eaux urbaines, initiatrice et cheffe du projet interdisciplinaire Novaquatis, responsable de groupe et membre de la direction de l’Eawag. Son champ d’action s’étend de la séparation de l’urine et des toilettes Blue Diversion au Wings, en passant par le Water Hub. Maintenant, Tove Larsen est à la retraite.

Qu’est-ce qui vous a menée à l’Eawag?

C’était il y a longtemps. En 1999, j’étais première assistante à la chaire pour la gestion des eaux urbaines et enseignante à l’EPF Zurich pour la technologie des procédés de traitement des eaux usées. Pendant mes années à l’EPF, j’avais étudié intensivement le sujet du développement durable dans la gestion des eaux urbaines – en discutant également avec mes collègues de l’Eawag. J’ai étudié différentes thématiques pour finalement décider de suivre l’idée de séparation de l’urine.

Je suis entrée officiellement à l’Eawag en 1999. La direction souhaitait initier un projet interdisciplinaire sur la gestion durable des eaux urbaines et m’a proposé le poste. J’avais un peu d’expérience avec de tels projets car je faisais partie dès 1993 du comité de direction de projet de l’axe de recherche – un projet préliminaire des projets interdisciplinaires. Rétrospectivement, l’ouverture de l’Eawag à l’exploration de nouveaux terrains me semble remarquable. Le directeur de l’époque, Alexander Zehnder, et les deux vice-directeurs ont cru à mes idées, même si elles étaient assez éloignées de la réalité. Un poste passionnant m’a été proposé, lequel est devenu un emploi fixe

Et puis il y a eu Novaquatis?

Exactement. Novaquatis était l’un des premiers projets interdisciplinaires de l’Eawag, sur lequel nous avons travaillé pendant six ans de manière transdisciplinaire sur la séparation de l’urine et la technologie NoMix, comme nouvel élément du traitement des eaux usées. Notre objectif était et reste de mieux protéger les cours d’eau des apports de nutriments et des micropolluants et de fermer les cycles des nutriments. Novaquatis a montré que la technologie NoMix est une bonne alternative à l’élimination centrale des nutriments, mais a aussi mis au jour les nombreuses difficultés de mettre ces idées en œuvre dans la pratique.

Le facteur de réussite le plus important sans doute est que nous avons considéré les problématiques de manière globale et que des collègues des disciplines les plus diverses - sciences sociales, naturelles et ingénierie -, ont participé. Par ailleurs, nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’industrie sanitaire et les autorités locales. L’implication de toutes les parties prenantes importantes est aujourd’hui la norme, mais ce n’était pas évident il y a 20 ans.

"Rétrospectivement, j'ai pu apporter à l'Eawag quelques nouveaux thèmes qui ont ensuite été repris par des collègues et qui font aujourd'hui partie intégrante du portefeuille."

Y a-t-il eu d’autres moments forts?

Oui, plusieurs. J’aimerais citer avant tout le Reinvent the Toilet Challenge de la Bill & Melinda Gates Foundation, qui nous a permis dès 2011 de développer avec les collègues des départements Assainissement, eau & déchets pour le développement et Technologie des procédés les toilettes Blue Diversion, y inclus le mur d’eau, qui sont devenues dès 2014 sous la direction de Kai Udert les toilettes Autarky.

Ce projet a montré une nouvelle fois combien la collaboration entre diverses disciplines et l’implication des parties prenantes sont décisives. La collaboration de Harald Gründl d’EOOS Design a transformé les différentes contributions disciplinaires de l’Eawag en un tout, qui a pu effectivement être testé en Ouganda et au Kenya. De ces deux projets – Novaquatis et Blue Diversion – est née, après nombre de détours, une nouvelle génération de toilettes produite en série et utilisée sur différents sites. Les innovations aussi radicales exigent de l’endurance, les bons partenaires et, surtout, un employeur très patient. Nous n’avons pas encore atteint l’objectif.

J’ai proposé quelques nouveaux thèmes à l’Eawag, qui ont été repris par mes collègues et qui constituent aujourd’hui des éléments indispensables du portefeuille. Le Water Hub dans le bâtiment NEST de l’Empa et de l’Eawag, dans lequel sont utilisés les développements du département Technologie des procédés et où nous apportons nos expériences et nos connaissances à l’industrie et à la pratique en est un exemple. Dans le Water Hub, nous expérimentons en direct la séparation des flux d’eaux usées directement à la source et leur traitement dans le bâtiment même. Un autre exemple plus indirect est le programme de recherche inter- et transdisciplinaire Wings (Water and sanitation Innovations for Non-Grid Solutions), qui cherche à répondre à la question de savoir comment assurer l’approvisionnement en eau et le traitement des eaux usées de manière flexible et efficace en termes de ressources dans les villes à croissance rapide.

"Depuis des décennies, il est clair qu'avec l'augmentation de la population mondiale et le changement climatique, nous devons gérer nos ressources de manière plus consciente".

Comment se fait-il que vous ayez été persuadée si tôt de la séparation de l’urine?

Je ne l’étais pas du tout. Mais je m’intéressais à une solution de développement pour la gestion durable des eaux urbaines qui ne fonctionne pas uniquement dans les pays privilégiés qui peuvent s’offrir des installations et des infrastructures. Je ne voyais tout simplement pas d’autre alternative que la séparation de l’urine.

Il est évident depuis des décennies qu’une population mondiale en plein essor et le changement climatique nous obligent à devenir plus responsables dans l’usage de nos ressources. L’eau et les cours d’eau sont les ressources les plus précieuses que nous ayons, et approvisionner les villes en eau et protéger les cours d’eau des eaux usées est une tâche complexe qui a été perfectionnée chez nous lentement depuis le début du 20e siècle. Je pensais, et pense toujours, que notre gestion des eaux urbaines ne peut fonctionner que dans des sociétés stables, riches en eau et plus ou moins prospères. Je suis convaincue que seule la séparation à la source nous permettra de simplifier le traitement des eaux usées de manière à ce qu’il puisse progresser partout de façon décentralisée et rapide. De plus, les ressources peuvent être récupérées plus facilement des différentes parties des eaux usées: engrais à partir de l’urine, eau à partir de l’eau grise, énergie à partir des matières solides.

La Suisse serait un bon endroit pour perfectionner la séparation de l’urine: au lieu de développer les stations d’épuration pour réduire les flux d’azote sur les zones côtières européennes, un tel développement aurait un impact beaucoup plus important au niveau mondial. Je pars du principe que ce serait moins cher à long terme pour la Suisse, même si les nouvelles technologies sont bien entendu toujours plus chères au début.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans votre travail à l’Eawag?

Pour moi, l’Eawag était idéal pour faire de la recherche car il était permis de subir des échecs, ce qui est fondamental pour mener des projets innovants. Si on n’a pas droit à l’erreur, alors on fait ce qui fonctionne à coup sûr et on évite les grandes avancées. En outre, de nombreuses disciplines qui interagissent pour avoir un réel impact sont présentes à l’Eawag. Il est difficile de trouver ailleurs une telle constellation. Il existe en plus des départements de support professionnels qui sont très importants pour nous tous.

Et pour la suite? Avez-vous des projets?

Je me réjouis beaucoup d’avoir du temps libre qui me donnera enfin l’opportunité de faire toutes les choses que je veux faire depuis longtemps. Echapper au brouillard dans les montagnes, visiter les musées italiens hors saison, cultiver mon jardin, même s’il pleut tous les week-ends, et plus encore. Mon objectif à long terme est de lire les fables islandaises en version originale. La littérature nordique m’a toujours intéressée et je trouve cette littérature médiévale tout à fait passionnante. Je vais donc commencer par apprendre l’islandais, qui est assez proche de l’ancienne langue nordique. On peut apprendre l’islandais en ligne ou à la Migros – pour l’ancienne langue nordique, il faudrait aller à l’université. Ce serait aussi très intéressant, mais je veux d’abord profiter quelques années de ma liberté. J’ai été suffisamment longtemps liée aux vacances scolaires et universitaires.
 

Portrait de Tove Larsen

Tove Larsen est titulaire d’un doctorat en génie chimique, scientifique Senior depuis 1999, puis responsable de groupe au département Gestion des eaux urbaines de l’Eawag.

Après son post-doctorat à l’EPF Zurich, Tove Larsen est entrée à l’Eawag, où elle a initié et dirigé plusieurs projets transdisciplinaires de développements technologiques innovateurs dans le secteur de la gestion des eaux urbaines. Ses centres d’intérêt sont la gestion des eaux usées protégeant les ressources et la recherche transdisciplinaire. Avec son projet Novaquatis, elle a gagné en 2008 le prestigieux «swiss-academies award for transdisciplinary research» pour son approche visionnaire, innovatrice et intégrative dans le domaine de la gestion des eaux urbaines. En 2014, elle a remporté deux prix de l’innovation de l’International Water Association (IWA) avec son projet Blue Diversion.

Pendant son activité, elle était également maître de conférence pendant huit ans à l’EPF Zurich pour l’ingénierie environnementale et pendant un an professeure invitée à l’université technique du Danemark (DTU), où elle a été nommée professeure titulaire en 2017. De 2020 à 2022 elle était maître de conférence au département architecture de l’EPF Zurich.

En qualité de membre de la direction de l’Eawag, elle a représenté le champ de recherche génie écologique et soutenu ainsi les efforts de l’Eawag pour mettre en œuvre au plus près de la pratique les technologies innovatrices.

Photo de couverture: Tove Larsen (Photo: Peter Penicka, Eawag)