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Les invasions biologiques accélérées grâce à l'évolution
22 avril 2015 |
Une mobilité sans bornes, des marchés mondialisés et bien d'autres spécificités modernes font que de plus en plus d'espèces animales et végétales ou de germes pathogènes apparaissent dans des pays ou même des continents où ils n'avaient jamais été observés auparavant. Dans leur nouvel environnement, les invasives se propagent souvent à une vitesse inquiétante, favorisées, notamment, par l'absence d'ennemis naturels. La colonisation des milieux par des espèces exotiques - en partie favorisée par le changement climatique - a de graves conséquences écologiques et économiques. Ainsi, la disparition d'espèces indigènes peut entraîner avec elle la perte irrémédiable de fonctions importantes des écosystèmes pour l'homme, comme la protection contre les parasites ou l'autoépuration des eaux. Il est donc logique que les scientifiques, les autorités et les politiques cherchent des moyens de mieux prévoir les invasions biologiques.
L'évolution des organismes unicellulaires ne prend que quelques jours
Mais notre connaissance des mécanismes qui président à la dispersion rapide des espèces est étonnamment faible. La recherche a beaucoup de mal à surveiller de grands espaces géographiques pendant de longues périodes. Jusqu'à présent, les prévisions se sont souvent avérées inexactes, les invasions biologiques progressant beaucoup plus vite que prévu par les modèles. Ce n'est que ces dernières années que les chercheurs ont compris que les processus évolutifs rapides n'avaient pas assez été pris en compte. L'idée selon laquelle l'évolution serait nécessairement lente est maintenant caduque. Plusieurs études ont montré qu'elle pouvait au contraire se produire très rapidement, induisant des changements en quelques générations à peine - c'est-à-dire en quelques années, en quelques mois ou, dans le cas des organismes unicellulaires, en quelques jours.
Une progression toujours plus rapide
Une équipe de biologistes rassemblés autour d'Emanuel Fronhofer et de Florian Altermatt de l'Eawag et de l'Université de Zurich a maintenant reproduit les patrons globaux d'évolution des ciliés unicellulaires à l'échelle du laboratoire. Grâce à des environnements reconstitués en miniature et des simulations, les chercheurs sont parvenus à suivre l'évolution accélérée de ces organismes en temps réel. « Apparemment, une évolution éclair aide les espèces à se propager de plus en plus vite, commente Emanuel Fronhofer. Au cours de nos essais, nous avons constaté que les nouvelles générations de ciliés nageaient toujours plus vite que les précédentes. » Les chercheurs zurichois ont ainsi observé le même phénomène que celui déjà constaté chez le crapaud buffle en Australie : cet amphibien à la peau hautement toxique originaire d'Amérique s'est propagé à une vitesse toujours croissante sur tout le continent. Les individus se trouvant sur le front d'invasion développaient des pattes toujours plus fortes et pouvaient donc avancer de plus en plus vite et couvrir des distances de plus en plus grandes.
Les scientifiques espèrent maintenant que leurs résultats contribueront à une prédiction plus fiable de la progression des pathogènes et des espèces exotiques envahissantes. Leur étude paraît aujourd'hui dans la prestigieuse revue scientifique Nature Communications.
Article original
Fronhofer E.A. & Altermatt F. Eco-evolutionary feedbacks during range expansions. Nature Communications Doi: 10.1038/ncomms7844
Photos à télécharger
En combinant modélisation et vidéo microscopie, les chercheurs Florian Altermatt (à g.) et Emanuel Fronhofer ont suivi l'évolution et le comportement des ciliés unicellulaires dans des milieux miniaturisés.
(Photo : Eawag, Peter Penicka)
Déplacements des ciliés enregistrés au microscope. A mesure que l'essai se poursuivait, les ciliés devenaient plus rapides et parcouraient de plus grandes distances.
(Photo : Eawag)