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Les micropolluants à l'origine d'un stress écologique
1 juin 2017 |
Que ce soit dans les médicaments, les cosmétiques, les produits d'entretien ou les processus industriels, plus de 30 000 composés chimiques interviennent chaque jour dans notre pays dans une multitude d'utilisations. Beaucoup d'entre eux atteignent les eaux de surface par le biais des stations d'épuration et peuvent alors nuire aux organismes aquatiques et à la qualité des ressources en eau potable. Pour éliminer ces micropolluants dans les eaux usées, la Suisse prévoit d'installer de nouveaux traitements dans une centaine stations d'épuration sélectionnées stratégiquement dans les années qui viennent.
Des chercheurs et chercheuses de l'Eawag et du Centre Ecotox Eawag-EPFL assurent l'accompagnement scientifique de l'extension des stations. «Nous avons la chance unique de pouvoir suivre quasiment en temps réel les effets de la réduction de la charge en micropolluants sur l'écosystème aquatique», explique Christian Stamm qui dirige le projet. Les scientifiques ont commencé par faire un constat de l'état biologique et chimique du milieu avant l'installation des nouveaux traitements. «Nous voulons ensuite savoir comment les micropolluants contenus dans les eaux usées impactent la composition des communautés biotiques et le fonctionnement des hydrosystèmes fluviaux, indique Stamm. Nos lacunes sont encore importantes à ce niveau.»
De nombreux micropolluants dans les eaux usées
Entre 2013 et 2014, Stamm et son équipe ont prélevé des échantillons à intervalles réguliers en amont et en aval de 24 stations d'épuration (Fig. 1). Les analyses prouvent que de nombreux micropolluants sont déversés dans les rivières avec les eaux usées traitées. «Nous avons observé une augmentation particulièrement marquée pour les médicaments et les produits d'entretien», indique Stamm. Ainsi, les concentrations de médicaments étaient en moyenne 30 fois plus élevées en aval des stations qu'en amont (Fig. 2). Selon une première évaluation du risque écotoxicologique, il semblerait que le diclofénac, un antalgique, et le diazinon et le diuron, deux pesticides, soient présents sur une grande partie du territoire national à des concentrations ayant un impact biologique, cependant que d'autres substances posent un problème au niveau régional.
Fig. 2 : Rapport entre les concentrations de différents types de substances mesurées en aval et en amont des stations d'épuration. Un rapport supérieur à 1 indique que les teneurs mesurées étaient plus fortes en aval qu'en amont. Les traits noirs indiquent la médiane et les barres jaunes un écart de ± 25 %.
Des signes de stress indicateurs de la présence des micropolluants ont été observés dans les populations vivant en aval des points de rejet des stations. Chez les truites, des gènes impliqués dans les processus de détoxification cellulaire étaient ainsi activés. Chez les gammares, les biologistes ont observé un déficit en jeunes individus, ce qui semble indiquer une perturbation de la reproduction ou une mortalité accrue des juvéniles. La diversité des invertébrés sensibles aux pesticides était réduite en aval des stations d'épuration. Par ailleurs, les effluents d'épuration sont également vecteurs d'antibiotiques et de bactéries antibiorésistantes et peuvent ainsi contribuer à la diffusion de la résistance aux antibiotiques.
Disparition des adaptations après amélioration technique des STEP
Les algues et bactéries qui forment des biofilms au fond des cours d'eau et jouent un rôle essentiel dans les réseaux trophiques réagissent elles aussi à l'arrivée des effluents d'épuration. Les biofilms vivant en aval de leur point de rejet étaient ainsi beaucoup plus tolérants aux micropolluants que ceux vivant en amont. «Plus la charge polluante était élevée, plus la tolérance était grande, indique Stamm. Cela semble indiquer un rapport de cause à effet entre l'exposition et les effets biologiques.»
C'est au niveau des biofilms que les scientifiques ont pu mettre en évidence les premiers effets de l'amélioration technique des stations d'épuration. Les algues de la Glatt ont ainsi rapidement perdu leur tolérance particulière vis-à-vis des micropolluants après l'installation du traitement avancé dans la STEP d'Herisau (Fig. 3). De même, l'activité particulière du gène de détoxification auparavant observée chez les truites vivant en aval a disparu après l'amélioration technique.
Fig. 3 : La tolérance aux micropolluants acquise par les algues vivant en aval de la STEP d'Herisau a disparu après l'installation du traitement avancé d'épuration : elles réagissent désormais à des concentrations effectrices plus faibles (CE50) en réduisant leur production de biomasse. En revanche, aucune différence n'est observable entre les deux mêmes années au niveau de la STEP de Hochdorf qui n'a pas été équipée. La CE50 indique la concentration de polluant pour laquelle une fonction vitale (dans ce cas, la production de biomasse) est affectée chez 50 % des individus d'une population exposée. *Différence statistiquement significative
Les effets cachés mis à jour dans des canaux expérimentaux
Il est souvent difficile de mesurer les effets des micropolluants sur le terrain car ils peuvent être masqués par ceux d'autres composants des eaux usées. Pour pouvoir distinguer les effets les uns des autres, les scientifiques ont réalisé des essais complémentaires dans un système de canaux expérimentaux (Fig. 4). Grâce à ce dispositif, ils ont par exemple pu démontrer que les micropolluants freinaient la dégradation de la matière organique alors que les apports de nutriments la favorisent. «Ce constat est en accord avec nos observations sur le terrain selon lesquelles le taux de dégradation des feuilles mortes peut être réduit des deux tiers en aval des STEP mais à hauteur variable suivant la richesse nutritive du milieu», conclut Stamm. Le dépouillement statistique des données indique que les insecticides, en particulier, ont un effet dévastateur sur les gammares fortement impliqués dans la dégradation des débris végétaux.
Fig. 4 : Les scientifiques ont étudié les effets de différents composants des eaux usées grâce à un système de 16 canaux expérimentaux. Photo: Eawag