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L’impact des espèces envahissantes s’étend au-delà des écosystèmes
4 avril 2024 |
Les espèces envahissantes sont présentes dans le monde entier et ont un impact profond sur l’écosystème qu’elles pénètrent. C’est pourquoi elles sont considérées comme l’une des cinq principales menaces pour la biodiversité mondiale et les écosystèmes. Dans une étude qui vient d’être publiée dans la revue «Nature Ecology & Evolution», une chercheuse et un chercheur de l’Institut de recherche sur l’eau Eawag montrent à présent pour la première fois que leurs effets vont souvent au-delà des limites de l’écosystème concerné. La postdoctorante Tianna Peller et Florian Altermatt, responsable de groupe à l’Eawag et professeur d’écologie aquatique à l’Université de Zurich, ont réuni pour la première fois dans une vue d’ensemble mondiale des exemples d’impacts inter-écosystémiques des espèces envahissantes. Ils en ont tiré des conclusions qui donnent un nouvel éclairage sur l’ampleur de la menace écologique que représentent les espèces envahissantes. «Notre travail montre que l’impact des espèces envahissantes est un phénomène omniprésent qui s’étend au-delà des limites des écosystèmes», explique Tianna Peller, «elles provoquent des modifications de la biodiversité et des fonctions écosystémiques dans le monde entier.» Il est par conséquent nécessaire de gérer les espèces envahissantes de manière globale.
Trois modes d’impact inter-écosystémique
Dans la nature, les interactions entre écosystèmes sont courantes, elles relient par exemple forêts et lacs, prairies et rivières, récifs coralliens et mer profonde. Les deux scientifiques montrent dans leur travail que les espèces envahissantes influencent ces interactions de trois manières différentes. Premièrement, elles peuvent modifier la quantité d’organismes et de matériaux qui s’écoulent au-delà des écosystèmes. Deuxièmement, elles peuvent modifier la qualité de ces courants, ce qui peut notamment avoir une influence sur la valeur de ceux-ci pour les animaux qui s’en nourrissent. Et troisièmement, les espèces envahissantes peuvent provoquer de nouveaux courants spatiaux qui n’existaient pas avant l’invasion de l’espèce, par exemple via des substances végétales secondaires produites par des plantes terrestres invasives qui pénètrent les écosystèmes aquatiques.
«De ce fait, les espèces envahissantes peuvent avoir un impact écologique jusqu’à 100 kilomètres au-delà de l’écosystème dans lequel elles pénètrent», expliquent les auteurs de l’étude. «Alors que nous classifions souvent les espèces envahissantes comme aquatiques ou terrestres, nos résultats indiquent que l’impact des espèces envahissantes s’étend fréquemment au-delà de l’interface aquatique-terrestre.»
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Les espèces envahissantes (en rouge) ont un impact inter-écosystémique (voir slider dans l'image):
(1) Les truites de lac invasives se nourrissent de truites indigènes, ce qui fait reculer leur population et interrompt leur migration des lacs vers les rivières. Ainsi disparaît une source de proies importante pour les ours. Ceci a un impact sur le réseau trophique à terre, car les ours doivent se nourrir d’autres animaux comme les jeunes élans. L’invasion de la truite de lac a également un impact sur les lacs lointains. Les oiseaux qui se nourrissaient de truites indigènes avant l’invasion de la truite de lac déplacent leur recherche de nourriture vers les lacs présentant suffisamment de proies.
(2) Le remplacement des forêts d’algues indigènes par les macroalgues vertes invasives modifie la qualité de la biomasse d’algues mortes qui est emportée des écosystèmes marins côtiers vers les écosystèmes marins plus profonds où elle constitue une importante source de nourriture. Cela a une incidence sur la quantité et la diversité des organismes des profondeurs de la mer.
(3) Les plantes terrestres invasives, qui font disparaître les plantes forestières indigènes, comme la balsamine de l’Himalaya, apportent dans les forêts de nouvelles substances chimiques qui finissent dans les étangs par lessivage où elles réduisent le taux de croissance du zooplancton. Cela modifie la dynamique du réseau trophique des étangs.
(Graphique: Morgane Brosse, Eawag)
Envahisseurs prédateurs sur l’archipel des Chagos
L’exemple des rats (Rattus spp.) introduits sur les îles de l’archipel des Chagos dans l’océan Indien montre combien les espèces envahissantes perturbent les articulations spatiales et déclenchent des effets en cascade sur d’autres écosystèmes. Ces envahisseurs prédateurs ont considérablement réduit les populations d’oiseaux. Moins d’oiseaux signifie moins de déjections, ce qui a perturbé le flux d’azote des îles vers les récifs coralliens. Ceci a à son tour engendré des répercussions sur les poissons des récifs dont la biomasse a reculé de jusqu’à 50 pour cent. Les importantes fonctions écosystémiques des poissons, telles que le broutage et la bioérosion, en ont été fortement impactées.
De l’Himalaya à la Suisse
Un exemple en Suisse montre à quel point les espèces envahissantes peuvent introduire de nouveaux courants spatiaux entre les écosystèmes. L’introduction de la balsamine originaire de l’Himalaya (Impatiens glandulifera) a entrainé le lessivage dans les écosystèmes aquatiques voisins des substances végétales secondaires produites par cette espèce, nuisant ainsi à la croissance et au taux de reproduction d’organismes aquatiques.
Une truite de lac vorace aux États-Unis
La truite de lac invasive (Salvelinus namaycush) aux États-Unis est un autre exemple notable pour la cascade d’effets spatiaux que peut provoquer une espèce envahissante. Elle mange la truite indigène Yellowstone-Cutthroat, ce qui a interrompu sa migration des lacs vers les rivières.
Cela impacte les cycles des nutriments et les réseaux trophiques dans les rivières, mais aussi à terre (voir graphique).
Les effets sur la gestion des écosystèmes
Globalement, l’étude souligne l’importance de prendre en compte le contexte géographique global pour évaluer les conséquences écologiques d’espèces envahissantes. Elle montre notamment que les espèces non indigènes doivent être étudiées non seulement au sein de compartiments écosystémiques classiques comme la mer, la terre ou l’eau douce, mais que leur gestion exige d’adopter une perspective globale. «Si nous comprenons comment les espèces envahissantes impactent l’échange entre écosystèmes, nous pouvons mettre en œuvre des mesures de gestion plus ciblées pour limiter leur impact», explique Florian Altermatt.
Photo de couverture: Largement répandue en Suisse, la balsamine est une espèce envahissante qui peut avoir un impact sur les écosystèmes aquatiques voisins. (Photo: Florian Altermatt, Eawag)
Publication originale
Financement / Coopération
- Eawag
- Université de Zurich
- FNS