Détail de l'archive

L’objectif : la société fixatrice de CO2

22 janvier 2024 | Michael Hagmann, Empa

Avec de nouvelles initiatives et des objectifs tout à fait ambitieux, Tanja Zimmermann et Martin Ackermann veulent apporter des réponses au changement climatique. Le directeur de l'Eawag et la directrice de l'Empa expliquent dans cette interview pourquoi celui-ci est en premier lieu une crise de l'eau, tout ce qui est nécessaire pour y faire face et tout ce que l'on peut fabriquer à partir du CO2.

Trouver des solutions à la crise climatique et utiliser l'atmosphère comme source de matières premières pour en extraire le CO2 et en faire des matériaux précieux, voilà des objectifs ambitieux. Ne pas avoir peur de ne pas répondre aux attentes ?

Martin Ackermann : Tout d'abord, une évaluation personnelle : nous ne sommes pas sur la bonne voie. Les objectifs pour une protection efficace du climat, comme le zéro net d'ici 2050, sont pour l'instant très éloignés, et il y a un grand retard à rattraper en matière d'adaptation au climat, nos capacités à réagir de manière appropriée à un climat changeant. Il y a donc encore beaucoup à faire. Et il vaut mieux s'y prendre tôt que tard.

Tanja Zimmermann : En effet, les problèmes sont urgents. Même si nous parvenons à un bilan net nul et à un tournant énergétique, il y aura toujours trop de CO2 dans l'atmosphère, avec les conséquences que cela implique, comme la fonte des glaciers et l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes. Il est donc extrêmement important d'agir maintenant et d'apporter notre contribution. Et c'est justement chez nos jeunes chercheurs que je sens une grande motivation à travailler sur ces thèmes porteurs de sens. Donc, le respect de cette tâche – oui ; la peur de ne pas pouvoir proposer de solutions – non.

Et cette tâche herculéenne, l'Empa et l'Eawag la réalisent-ils seuls ?

MA : Nous apprécions énormément de travailler en étroite collaboration avec l'Empa – en principe, mais aussi et surtout sur le thème du climat. Nous souhaitons positionner le campus commun comme un lieu où l'on travaille intensivement à des solutions climatiques. Pour les élaborer, il faut réunir toutes les forces disponibles – de la recherche fondamentale – où les deux EPF sont particulièrement fortes – à la transposition des nouvelles connaissances en applications pratiques, qu'il s'agisse de nouvelles technologies ou de bases scientifiques pour le processus législatif. Nous nous complétons parfaitement au sein du domaine des EPF.

TZ : Je ne peux qu'être d'accord avec Martin. C'est formidable de pouvoir collaborer avec l'Eawag de manière aussi simple et efficace. Mais le problème est si complexe que nous ne pouvons le résoudre qu'ensemble, c'est-à-dire avec toutes les institutions du Domaine des EPF, mais aussi au-delà, y compris au niveau international. Le problème ne s'arrête pas aux frontières. En outre, nous devons impliquer très tôt les décideurs de l'industrie, de l'administration et de la politique afin de générer des solutions ayant vraiment un "impact". Comme je l'ai dit au début, il ne s'agit pas de voir petit.
 

Comment la recherche peut-elle contribuer concrètement à trouver des réponses à la crise climatique ?

MA : Quand on parle de recherche sur le climat, on pense généralement à des mesures et à des modélisations, c'est-à-dire à la description du problème. C'est certes absolument essentiel, mais nous avons besoin de plus, à savoir de solutions. On peut distinguer en gros deux types de réaction à la crise climatique : D'une part, la protection du climat ou la mitigation, c'est-à-dire les technologies et les stratégies politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à éliminer le CO2 de l'atmosphère – comme le prévoit justement "Mining the Atmosphere". D'autre part, l'adaptation au climat ou l'adaptation, afin d'atténuer les effets néfastes du changement climatique sur les systèmes naturels et humains, par exemple la protection contre les phénomènes météorologiques extrêmes. Si l'on veut l'exprimer de manière précise : avec l'adaptation climatique, on se protège soi-même, on veille donc à son propre bien-être. La protection du climat est altruiste, elle a un effet global. Nous avons besoin des deux, pas de l'un ou l'autre.

Et quel est le rôle de l'Eawag en tant qu'institut de recherche sur l'eau ?

MA : Selon l'ONU, le changement climatique est avant tout une crise de l'eau. Il fait plus chaud, oui, mais cela modifie aussi et surtout la disponibilité de l'eau et le régime des précipitations. Les hivers deviennent plus humides, les étés plus chauds et plus secs. Et nous avons ainsi deux problèmes à la fois : en hiver, une quantité d'eau extrêmement importante peut arriver sous forme de fortes pluies et causer de gros dégâts ; en été, nous manquons d'eau à certains endroits. Nous devons donc limiter les dégâts causés par les précipitations extrêmes – tout en "sauvant" une partie de cette eau en été. C'est pourquoi nous avons défini le thème du climat comme l'un de nos thèmes prioritaires à l'Eawag – ce qu'il était moins explicitement auparavant.

TZ : C'est d'ailleurs l'inverse pour l'énergie durable – à l'avenir, avec le développement du photovoltaïque, nous aurons des excédents d'énergie en été, mais pas assez en hiver. Pour compenser cela, nous essayons de "matérialiser" l'énergie, c'est-à-dire de la transformer en vecteurs d'énergie chimique stockables, comme l'hydrogène ou le méthane avec le CO2 de l'atmosphère.

Ce qui nous amène à "Mining the Atmosphere" ...

TZ : Exactement. Notre vision est de passer d'une société émettrice de CO2 à une société fixatrice de CO2 grâce au développement de matériaux et de technologies appropriés. Et c'est une nécessité, je le répète, car même après la transition énergétique, nous devrons d'une manière ou d'une autre "nettoyer" l'atmosphère de la pollution au CO2 que nous avons générée au cours des 200 dernières années, afin d'éviter une nouvelle hausse des températures.

Quel est votre calendrier général ?

TZ : Nous élaborons actuellement les différents "piliers" de notre concept : l'extraction du CO2, sa transformation chimique et, enfin, les technologies permettant de produire des matériaux à valeur ajoutée dans lesquels le carbone est fixé à long terme. Les premiers projets de technologies à émission négative sont déjà en cours à l'Empa, par exemple des matériaux isolants à base de charbon végétal et des types de ciment qui absorbent le CO2 au lieu de le libérer lors du processus de prise. L'année prochaine, d'autres initiatives devraient être lancées ; j'aimerais moi-même, par exemple, lancer un thème sur le bois en raison de mon background de chercheuse. Les premières discussions entre différents acteurs sont en cours et ce sera en tout cas très intéressant.

MA : Nous sommes actuellement en train d'explorer, avec nos institutions partenaires du domaine des EPF, les domaines dans lesquels nous pourrions collaborer, par exemple dans le domaine de l'eau et de l'adaptation au climat.

Quelles sont les questions concrètes auxquelles vous souhaitez apporter des réponses ?

MA : Juste un exemple : Nous mettons en place un "laboratoire réel" à Berne, où nous travaillons avec les autorités, les habitants et des partenaires de recherche. L'objectif est d'adapter le quartier de manière à ce que la vie y soit encore agréable et sûre dans 15 ans – grâce à une "infrastructure bleue et verte", l'intégration de l'eau et de la végétation dans les quartiers : que l'on soit donc armé contre les événements météorologiques extrêmes tout en disposant de suffisamment d'eau et de fraîcheur en été.

TZ : A l'Empa, le développement de nouveaux matériaux à base de carbone et des technologies correspondantes ainsi que des approches systémiques sont au centre des préoccupations. En commençant par la fin, par exemple de nouveaux matériaux de construction avec une empreinte carbone négative, de nouvelles technologies de fabrication pour les produire à grande échelle – mais aussi d'autres matières premières, par exemple pour l'industrie chimique –, des réacteurs de méthanisation et des catalyseurs efficaces pour la transformation du CO2 et de l'hydrogène en méthane ainsi que de nouveaux concepts pour "aspirer" le CO2 de l'atmosphère avec la plus grande efficacité énergétique possible. Pour ce faire, nous considérons l'ensemble des matériaux et des processus tout au long de leur cycle de vie – qui se déroule autant que possible en cycles et non plus de manière linéaire.

Les nouvelles initiatives de recherche veulent aussi être financées – d'où proviennent les fonds ?

TZ : Je vais financer notre initiative de base grâce à mon "Startup Grant", que j'ai obtenu du Conseil des EPF, et à des fonds provenant de nos réserves – environ cinq millions au total. Pour cela, nous voulons bien sûr obtenir des fonds tiers supplémentaires, tant auprès d'agences de financement publiques que de nos partenaires industriels.

MA : Comme je l'ai dit, nous avons défini le thème de la protection et de l'adaptation au climat comme une priorité stratégique et nous allons certainement le soutenir en conséquence.

Il se passe actuellement beaucoup de choses dans ce domaine, par exemple la Coalition for Green Energy and Storage (CGES) et les Joint Initiatives du domaine des EPF. Ne font-ils pas tous la même chose ?

TZ : Toutes ces initiatives sont importantes ! Le CGES, une très grande initiative des deux EPF en collaboration avec le PSI et l'Empa, porte sur le stockage de l'énergie produite de manière durable ou sur la transformation de l'électricité solaire, par exemple, en vecteurs d'énergie chimique comme l'hydrogène, le méthane ou le méthanol, ce que l'on appelle les procédés "Power-to-X". L'objectif est ici d'obtenir des installations de plusieurs mégawatts, c'est-à-dire une mise en œuvre à grande échelle ou la mise à l'échelle de technologies existantes avec des partenaires industriels, telles qu'elles sont développées dans notre démonstrateur de mobilité move ou dans la plateforme ESI du PSI. Il existe certes des interfaces avec "Mining the Atmosphere", mais nous pensons déjà au-delà de la transition énergétique et avons en vue un système économique circulaire entièrement nouveau, basé sur des matériaux neutres en CO2.

Pourquoi est-il important pour la Suisse de jouer un rôle de pionnier dans ce domaine ?

MA : Il y a deux aspects dans la protection du climat : Le premier est la responsabilité. La Suisse, en tant que pays riche et innovant avec des émissions de CO2 élevées, a une plus grande responsabilité qu'elle devrait assumer. Le second est économique : les innovations dans le domaine de la protection et de l'adaptation au climat ont un énorme potentiel, cela peut devenir un marché énorme pour l'industrie suisse. Dans le domaine de l'adaptation au climat, il faut ajouter à cela : Tous les secteurs vont être modifiés par le changement climatique – l'agriculture, les montagnes, les habitations. Se préparer et se protéger contre les effets négatifs du changement climatique est donc dans l'intérêt direct de la Suisse.

TZ : En tant que pays d'innovation, la Suisse est toujours à la pointe au niveau international, surtout en raison des bonnes conditions-cadres qu'elle offre ici. Nous sommes donc parfaitement positionnés pour développer des technologies et des concepts dans le cadre des initiatives qui démarrent, puis pour les appliquer et les commercialiser au niveau international. La compétitivité de l'industrie suisse s'en trouvera renforcée.
 

Photo de couverture: Eawag Directeur Martin Ackermann et Empa Directrice Tanja Zimmermann (Photo: Marion Nitsch, Empa).