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Recherche sur l’eau à 800 kilomètres de hauteur
19 juillet 2018 |
« Cette requête a été la plus concluante de ma vie ! » déclare le Professeur Johny Wüest non sans clin d’œil. En tant que membre de la Direction de l’Eawag, il avait suggéré en 2013 d’embaucher à l’Eawag un spécialiste de la télédétection (Remote Sensing). Suite à une évaluation approfondie et à de multiples négociations entre la Directrice de l’Eawag Janet Hering et Michael Schaepman, prorecteur de l’Université de Zurich, un projet beaucoup plus important a vu le jour : l’Eawag met en place un pôle de recherche commun avec l’Institut géographique de l’Université de Zurich.
L’équipe de plus en plus nombreuse compte dans ses rangs, depuis août 2017, Alexander Damm, qui occupe le poste de professeur assistant créé conjointement par l’Université de Zurich et l’Eawag pour la télédétection de systèmes aquatiques ainsi que Daniel Odermatt, responsable du groupe Remote Sensing à l’Eawag depuis avril 2018.
Potentiel croissant de la télédétection pour la recherche sur l’eau
Le premier satellite civil de surveillance de la Terre a été Landsat 1, que la Nasa a envoyé sur orbite en 1972. Outre des informations cartographiques, météorologiques et agricoles, il a fourni entre autres de nombreuses données hydrographiques, notamment pour l’océanographie et les eaux côtières. Depuis, les possibilités techniques qu’offre la télédétection pour la recherche sur l’eau ne cessent de se multiplier : les données en provenance de l’espace permettent désormais de déterminer la profondeur des eaux, le niveau des eaux, la température, la turbidité, les précipitations, l’évaporation, l’humidité des sols, les tracés côtiers et fluviaux, la prolifération des algues, la distribution des sédiments – et bien plus encore.
Le programme Copernicus lancé en 2014 a fait faire à la recherche environnementale un gigantesque bond en avant, car il permet pour la première fois de collecter systématiquement à l’échelle planétaire une multitude d’indicateurs environnementaux terrestres, maritimes et atmosphériques et de les mettre gratuitement à la disposition de tout un chacun. Trois des six familles de satellites Sentinentel prévues en tout sont déjà sur leur orbite. Elles mesurent le rayonnement électromagnétique dans les domaines optique et thermique jusque dans la gamme des micro-ondes. « Ces satellites nous permettent aujourd’hui d’observer quotidiennement et à l’échelle mondiale le phytoplancton, les algues bleues, les matières inorganiques en suspension et la température des eaux de surface dans les lacs », commente Daniel Odermatt.
Observation des lacs intérieurs
Le projet Freshmon (High Resolution Freshwater Monitoring, de 2010 à 2013), auquel Johny Wüest et Daniel Odermatt de l’Eawag ont pris part en effectuant des études au bord du Greifensee et du lac de Constance, a été un important précurseur de Copernicus. En Europe, il existe plus de 500.000 lacs de plus d’un hectare. Les pays de l’Union Européenne se sont engagés à surveiller la qualité écologique de leurs eaux. Avec des moyens conventionnels, cette tâche serait impossible à gérer en termes de délais et de moyens financiers. Par conséquent, dans le cadre de Freshmon, différentes technologies de télédétection pour le contrôle de la qualité et la profondeur des eaux ont été optimisées, harmonisées et combinées à des méthodes hydrologiques traditionnelles.
Projets de télédétection propres à l’Eawag
« Comme Freshmon le montre, l’utilisation de données de télédétection n’a rien de franchement nouveau pour l’Eawag », déclare Wüest. Lui-même a par ailleurs participé à un projet de recherche de l’Eawag, de l’EPF Lausanne (EPFL) et de l’Université de Berne dont l’objectif était de trouver dans le lac de Bienne un emplacement optimal pour le nouveau captage d’eau potable de la ville de Bienne. En l’occurrence, des données de relief fournies par des avions ont permis d’évaluer la stabilité des pentes du lac à hauteur des affluents Aar et Suze.
D’autres chercheuses et chercheurs de l’Eawag utilisent les données de télédétection par exemple pour classifier la végétation dans le bassin versant d’un fleuve (p. ex. Florian Altermatt), pour des modélisations hydrologiques dans le bassin versant de fleuves (Karim Abbaspour), pour la modélisation de l’hydrodynamique dans le lac Léman (Damien Bouffard) ou en rapport avec des inondations (Joao Leitão). Selon Wüest, la liste des chercheuses et chercheurs qui travaillent pour des données de télédétection est bien évidemment beaucoup plus longue, mais une chose est claire : avec ce nouveau pôle de recherche, l’Eawag veut passer à la vitesse supérieure. « La technique de télédétection nous offre une occasion unique de recueillir des informations à grande échelle et aussi de mieux comprendre la dynamique des systèmes environnementaux dans l’espace ». La recherche est depuis longtemps tributaire de modèles et de mesures in-situ. Grâce à la mise à disposition de plus en plus précise et rapide des données fournies par des satellites ou des avions, la démarche de travail scientifique évolue à une vitesse fulgurante.
Bien entendu, la question des coûts se pose aussi. Wüest est d’avis que l’économie et la science ont la chance inouïe que les informations de programmes comme Copernicus soient diffusées en « données ouvertes ». Sans cela, beaucoup de travaux de recherche seraient hors de prix.
Un regard vers l’avenir
Dès l’été 2018, la plateforme de mesure flottante dénommée LéXPLORE sera inaugurée sur le lac Léman, sous la responsabilité du centre de Limnologie de l’EPFL. Sa mission future sera de collecter automatiquement une multitude de données classiques, dont la température, la teneur en sel, oxygène, chlorophylle et en particules de l’eau. De plus, une sonde Tethys mesure différents paramètres optiques. Ces sondes n’étaient principalement utilisées jusqu’à ce jour que dans les eaux salées. L’association des mesures dans le lac Léman et de la télédétection par satellite promet par conséquent d’apporter de nouveaux éléments d’information à la recherche en eaux douces et représente un potentiel énorme pour la modélisation de processus tridimensionnels dans les lacs et les eaux côtières.
En outre, sous la direction de l’Université de Zurich, les chercheuses et chercheurs mettront en place dans les années à venir un système de télédétection aéroportée (Ares : Airborne Research Facility for the Earth System). Il fournira des données provenant des sphères de la terre les plus variées, comme par exemple des informations sur les eaux et la végétation adjacente ou sur la répartition géographique de la neige et de la glace.
Viennent s’ajouter à cela les travaux préparatoires en vue d’un projet de l’agence spatiale européenne (ESA) – la mission du satellite « Fluorescence Explorer » (Flex), à la planification de laquelle Alexander Damm est associé. Flex sera vraisemblablement mis en orbite en 2022 et mesurera pour la première fois à l’échelle mondiale la fluorescence de la chlorophylle dans une résolution spatiale et spectrale sans précédent. À partir de ces données, les chercheuses et chercheurs espèrent acquérir de nouvelles connaissances sur la photosynthèse.
Des mesures de la fluorescence fournissent des informations sur la qualité des eaux
Dans la télédétection de l’environnement aquatique, le signal de fluorescence est utilisé depuis assez longtemps pour identifier le phytoplancton et les algues bleues (potentiellement toxiques). Damm explique que la mission de Flex peut contribuer à optimiser ces processus de mesure. Et ce pour une bonne raison : les informations sur la quantité et les espèces d’algues, la photosynthèse des algues et leur productivité (croissance de la biomasse) permettent entre autres de tirer des conclusions sur la pollution des eaux ou d’étudier certains processus d’échange (p.ex. CO2) entre les eaux et l’atmosphère. Ainsi, les données peuvent faire partie d’un instrument de surveillance mondial permettant d‘évaluer les écosystèmes.
L’eau ne s’arrête pas aux berges
La collaboration entre l’Université de Zurich et l’Eawag est bien partie. Le sujet principal de recherche d’Alexander Damm portait jusqu’ici surtout sur des écosystèmes terrestres. Actuellement il étudie comment la végétation influence le cycle de l’eau. De son côté, Daniel Odermatt a principalement travaillé sur des études à long terme régionales et mondiales sur les lacs. Tous deux sont d’avis que l’eau et la terre vont très bien ensemble. Ainsi, leurs expériences se complètent de manière idéale. Le cycle de l’eau ne s’arrête pas simplement aux berges, estime Damm : « Les eaux sont étroitement liées à l’atmosphère et aux écosystèmes terrestres. Si l’on veut élaborer des solutions pour répondre aux grands problèmes sociétaux, comme par exemple l‘aggravation continue de la pénurie d’eau, il faut posséder un savoir étendu et interdisciplinaire sur le cycle et la qualité de l’eau. »
Photos
La surface des eaux de différents lacs suisses se colore périodiquement en bleu turquoise. Cette coloration est due à des précipitations de calcite. Ce phénomène est connu depuis longtemps, mais comme il survient sans crier garde, il reste encore peu étudié. À l’aide des données du satellite Landsat-8, les chercheurs de l’Eawag et de l’EPFL ont pu décrire la durée, la récurrence et les dimensions spatiales du processus dans le lac Léman. On a pu de ce fait en tirer des déductions sur le cycle du carbone. Dans le cadre du projet Léxplore mentionné dans l’article, l’Eawag va se pencher plus en détail sur le phénomène dans les années à venir. (Photo : Sentinel-2 data provided by ESA 2017)
Inflorescence d’algues bleues (Anabaena spiroides) dans le lac Atitlán (Guatemala). La distribution des algues bleues dans le lac n’est pas très homogène. Les données fournies par le satellite Landsat-8 en août 2015 montrent par conséquent de manière exemplaire les avantages des photographies de surfaces entières par rapport à des prélèvements d’échantillons ponctuels : elles fournissent une meilleure vue d’ensemble. La probabilité de mesures non représentatives diminue. (Photo : D. Odermatt, ESA DUE Projekt SPONGE)
Pour se préparer à la mission de Flex, la doctorante de l’EAWAG Remika Gupana et Alexander Damm se sont rendus en juin 2018 en Italie pour mesurer, à partir d’un bateau équipé d’un tout nouveau genre de spectromètre portable, la fluorescence d’algues et prélever des échantillons d’eau. En même temps, deux satellites Sentinel et un avion ont survolé la zone d’essai avec un spectromètre comparable. En effectuant ces recherches, l’équipe a voulu repérer entre autres le degré de précision à partir duquel les mesures de fluorescence spatiales permettent de faire la distinction entre des espèces d’algues. (Photo : Luca Fiorani, Enea)