Détail
Des créatures minuscules passionnantes dans les lacs périalpins
14 mai 2019 |
Les lacs périalpins d’Europe hébergent une communauté caractéristique de cyanobactéries. Marie-Eve Monchamp les a étudiées dans le cadre de sa thèse de doctorat à l’Eawag. « Nous avons prélevé des carottes de sédiments dans dix lacs en Suisse, en Italie et en France et nous avons analysé l’ADN des cyanobactéries qui s’y est déposé », explique-t-elle. Monchamp et son équipe ont ainsi reconstitué quand et où quelles communautés de bactéries ont vécu. Ils constatèrent que le nombre d’espèces différentes dans les lacs n’a certes pas diminué au cours des 100 dernières années, mais que les communautés des différents lacs sont devenues de plus en plus similaires. Ce sont principalement les espèces capables de s’adapter rapidement à des circonstances changeantes qui ont profité des conditions de vie modifiées dans le lac. Cela peut devenir problématique, car « ce sont justement ces espèces qui sont souvent toxiques », explique Monchamp.
La température influence la composition des espèces
Les chercheurs ont analysé les données de manière approfondie afin de découvrir si et comment l’activité humaine agit sur les compositions des espèces. Les engrais et les détergents déversés ont-ils un impact sur la communauté de cyanobactéries ? Comment réagissent les bactéries à la hausse des températures ?
Les chercheurs ont représenté toutes les communautés trouvées dans les carottes sédimentaires sous forme d’ arbres phylogénétiques. Monchamp explique : « Si les espèces se trouvent réparties aléatoirement sur des branches de l’arbre généalogique et qu’aucun motif n’émerge, rien ne semble alors influencer leur diversité. Si elles sont regroupées ou réparties de manière extrêmement régulière, cela indique qu’elles sont fortement marquées par des facteurs externes. »
Les cyanobactéries photosynthétiques des dix lacs semblent être modérément influencées par les conditions extérieures : Un peu plus de la moitié des arbres généalogiques étudiés (44 sur 76) étaient groupés, les autres étaient répartis de manière aléatoire. En comparant les données relatives à la qualité et la température de l’eau, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que c’est surtout la température qui a avantagé quelques espèces et en a fait disparaître d’autres. « Nous avions déjà vu lors de précédentes analyses que la stabilité des strates d’eau est également importante », ajoute Monchamp. Des substances nutritives telles que le phosphore ou l’azote ne semblent pas influencer la diversité de la communauté de cyanobactéries de manère significative.
Les chercheurs analysent en laboratoire l’ADN de cyanobactéries provenant des sédiments des lacs.
(Photo: Eawag)
Les données auxquelles personne ne s’attendait
Lorsque Monchamp est tombée sur des gènes de cyanobactéries non photosynthétiques lors de l’analyse des carottes sédimentaires, elle n’y a d’abord guère prêté attention. Mais lorsque les bactéries sont apparues en grand nombre dans les forages de tous les lacs et à toutes les époques représentées, cela a éveillé sa curiosité : « Ces données étaient trop belles pour ne pas les évaluer. » Avec son équipe, elle trouva 63 unités taxonomiques de cyanobactéries non photosynthétiques des deux embranchements Melainabacteria et Sericytochromatia.
Mais du fait qu’il est très difficile de les cultiver en laboratoire, ces bactéries non photosynthétiques ne sont tout d’abord guère étudiées. Les bactéries trouvées sont certes apparentées aux espèces photosynthétiques, mais ont un tout autre métabolisme et sont extrêmement variables : Elles existent dans des écosystèmes avec et sans oxygène, avec et sans lumière, et quelle que soit la quantité de nutriments présente. Des cyanobactéries non photosynthétiques vivent également dans les systèmes digestifs des animaux.
Questions similaires, autres réponses
Les chercheurs commencèrent par chercher des correspondances avec ses modèles qu’ils avaient trouvés chez les bactéries photosynthétiques. « Ce que nous avons trouvé correspondait au peu de chose qui est documenté dans la littérature », raconte Monchamp. L’analyse des arbres généalogiques révéla que les Melainabacteria et Sericytochromatia ne semblaient pas réagir aux influences environnementales telles que la température ou l’offre en éléments nutritifs. Sur les dix lacs étudiés, la composition de leurs espèces n’a changé que dans le lac d’Annecy au cours des 100 dernières années. Pour Monchamp, c’est d’une part un résultat surprenant, car par comparaison aux autres lacs, le lac d’Annecy est resté relativement inchangé. « Compte tenu de ces conditions environnementales constantes, nous nous serions attendus à la population la plus stable », déclare-t-elle. Mais elle n’est par ailleurs guère étonnée par le fait que la biodiversité des cyanobactéries non photosynthétiques n’ait pas augmenté au fil du temps comparativement aux cyanobactéries photosynthétiques : « Elles ont un métabolisme complètement différent. Il n’est donc pas surprenant qu’elles se comportent aussi différemment. »
Pour chaque communauté de cyanobactéries photosynthétiques analysée, un point de données indique si sa composition est aléatoire (section centrale) ou si elle est influencée par des facteurs environnementaux (au-dessus ou au-dessous des lignes en pointillés).
(Source: Monchamp et al., 2019)
L’intérêt de la communauté scientifique est éveillé
Ces résultats ont trouvé un large écho dans la communauté scientifique. « J’ai diffusé les premiers résultats via Twitter et ils ont éveillé un grand intérêt », commente Monchamp. Car : même si la présence de cyanobactéries non photosynthétiques avait déjà été documentée dans d’autres écosystèmes aquatiques, personne ne les a encore étudiées au sein de leur habitat. « Nos données collectées sur une longue période et sur une vaste zone géographique permettent d’avoir un aperçu intéressant de leur distribution», ajoute Monchamp. « D’autres études peuvent s’appuyer sur cette base pour explorer l’écologie des cyanobactéries non photosynthétiques. »
Publications originales
Les cyanobactéries
Les cyanobactéries jouent l’un des principaux rôles dans les cycles mondiaux du carbone et de l’azote. Dans le langage courant, les organismes unicellulaires sont souvent désignés par le terme d’algues bleues, mais en raison de leur biologie, elles appartiennent aux bactéries. Les ancêtres des cyanobactéries actuelles étaient, il y a plus de deux milliards d’années, l’un des premiers organismes vivants capables d’effectuer la scission de l’eau et de produire de l’oxygène : Ils pratiquaient la photosynthèse et enrichissaient ainsi l’atmosphère en oxygène. Entre-temps, on a identifié environ 2000 espèces, elles appartiennent au niveau le plus bas de la chaîne alimentaire et constituent une base vitale pour de nombreux animaux. Les cyanobactéries se sont adaptées à des conditions extrêmes : Elles colonisent les déserts, les eaux douces et salées, elles vivent dans des sources chaudes ou sur des pierres salines et on les trouve des tropiques jusqu’aux pôles.