Détail
Spores bactériennes : un réservoir d'antibiorésistance
20 juin 2018 |
Lorsque les conditions de vie leur deviennent défavorables, certaines bactéries produisent des spores capables d'être transportées au loin et de survivre dans les environnements les plus hostiles. Ces formes de résistance supportent même une ébullition de plusieurs heures. Lorsque les conditions s'améliorent, les spores sortent de leur dormance et redeviennent des bactéries vivantes capables de se multiplier. Des scientifiques de l'Eawag et de l'université de Neuchâtel ont cherché à savoir si ces formes de résistance bactériennes pouvaient également conserver et transmettre l'antibiorésistance. Ils ont pour cela extrait des spores bactériennes de carottes sédimentaires issues du lac Léman et y ont recherché des gènes de résistance aux antibiotiques. «Nous avons trouvé de véritables archives des gènes de résistance dans le sédiment», révèle Helmut Bürgmann de l'Eawag.
Les gènes de résistance des spores reflètent les utilisations d'antibiotiques
Étant donné que la biomasse et les particules qui se déposent au fond des lacs forment des couches annuelles, il est possible de les dater dans les carottes prélevées dans les sédiments : plus la couche est profonde, plus le dépôt est ancien. Pour leurs analyses, les scientifiques ont étudié deux carottes sédimentaires comprenant les dépôts des 100 dernières années. Grâce à une méthode mise au point par Pilar Junier de l'université de Neuchâtel, ils ont extrait les spores et cellules bactériennes contenues dans différentes couches. Ils ont ensuite déterminé le nombre de copies de gènes de résistance à deux familles d'antibiotiques courants : les tétracyclines et les sulfonamides.
Comme les scientifiques s'y attendaient, les traces de l'antibiorésistance passée sont mal conservées dans les cellules bactériennes vivantes étant donné que ces dernières meurent très rapidement dans le sédiment. En revanche, les gènes de résistance perdurent pendant des années dans les spores. «On observe une forte corrélation entre l'évolution du nombre de spores antibiorésistantes et celle de l'utilisation des antibiotiques», indique Bürgmann. Ainsi, l'introduction de la tétracycline dans les années 1960 s'est traduite par une augmentation rapide des gènes de résistance à cet antibiotique dans les spores bactériennes des couches sédimentaires de cette époque. En dehors de l'aspect temporel, les chercheurs se sont également intéressés à la dissémination spatiale des spores renfermant des gènes d'antibiorésistance. Pour cette étude, ils ont prélevé des échantillons de sédiment à différentes distances du point de déversement des effluents de la station d'épuration (STEP) lausannoise de Vidy dans le lac. Comme dans les études précédentes avec des cellules bactériennes, c'est près de la station qu'ils ont observé le plus grand nombre de gènes de résistance. «Les spores sont apportées dans le lac par la station d'épuration et elles sédimentent à proximité», explique Bürgmann. Alors que la STEP retient efficacement une grande partie des bactéries intestinales, les spores ont probablement moins de difficultés à la traverser.
Bactéries intestinales : un réservoir d'antibiorésistance
Les biologistes ont également cherché à savoir à quel type de bactéries appartenaient les spores découvertes dans les sédiments. Ils ont alors observé une forte corrélation entre la fréquence des gènes de résistance à la tétracycline et la présence de bactéries Firmicutes – des bactéries sporulées vivant dans l'intestin humain. Cette même constatation a pu être faite aussi bien dans le delta du Rhône dans le Léman qu'autour du point de déversement des effluents de la STEP dans la baie de Vidy. Le genre Clostridium, un sous-groupe des Firmicutes, était particulièrement bien représenté. «Ces résultats indiquent que la flore intestinale de l'être humain est un réservoir de résistance aux antibiotiques et que cette résistance peut être disséminée à travers les spores», commente Pilar Junier. La résistance aux sulfonamides, en revanche, était détectable dans les spores de nombreux types de bactéries, ce qui confirme des observations précédentes selon lesquelles certains gènes de résistance peuvent se transmettre d'une espèce de bactérie à une autre. «Suite à leur longévité et à leur fort taux de dissémination, les spores bactériennes peuvent fortement contribuer à la diffusion et au «stockage» de l'antibiorésistance dans l'environnement», conclut Bürgmann. Il estime cependant peu probable que les spores emmagasinées dans les sédiments sortent de leur dormance.
Publications
Madueño, L., Paul, C., Junier, T., Bayrychenko, Z., Filippidou, S., Beck, K.,… Junier, P. (2018). A historical legacy of antibiotic utilization on bacterial seed banks in sediments. PeerJ, 2018(1), e4197 (19 pp.). http://doi.org/10.7717/peerj.4197
Paul, Ch., Bayrychenko, Z., Junier, T., Filippidou, S., Beck, K., Bueche, M., Greub, G., Bürgmann, H., Junier, P. (2018). Dissemination of antibiotic resistance genes associated with the sporobiota in sediments impacted by wastewater. PeerJ 6:e4989; DOI 10.7717/peerj.4989
Une publication récompensée
Comment endiguer la dissémination de l'antibiorésistance dans l'environnement ? Des scientifiques du monde entier ont rassemblé leurs connaissances sur le sujet dans un article – Helmut Bürgmann, de l'Eawag, était parmi eux. En mars, leur publication «Toward a Comprehensive Strategy to Mitigate Dissemination of Environmental Sources of Antibiotic Resistance» a été élue First Runner-up Feature 2017 par la revue scientifique Environmental Science and Technology.
http://doi/10.1021/acs.est.7b03623
Stratégies de lutte contre la dissémination des germes résistants
Où les bactéries résistantes aux antibiotiques et les gènes correspondants se retrouvent-ils une fois qu'ils ont été libérés par l'homme avec ses déjections ? Dans les pays développés, les stations d'épuration jouent un rôle déterminant dans leur devenir environnemental. Suivant le système sanitaire choisi et selon que les matières fécales, les urines, et les eaux épurées sont réutilisées ou non, différentes questions se posent quant aux possibilités et aux voies de dissémination des agents de résistance. Des scientifiques de différents pays, dont certains de l'Eawag, font le point des connaissances actuelles et des lacunes encore existantes à ce sujet dans une publication. Ils donnent par ailleurs un aperçu des stratégies envisageables pour lutter au niveau mondial contre la dissémination de l'antibiorésistance par l'eau et les systèmes d'assainissement.
Publication
Helmut Bürgmann, Dominic Frigon, William Gaze, Célia Manaia, Amy Pruden, Andrew C Singer, Barth Smets, Tong Zhang (2018). Water & Sanitation: An Essential Battlefront in the War on Antimicrobial Resistance. FEMS Microbiology Ecology, fiy101 https://doi.org/10.1093/femsec/fiy101
Photos
Bactéries portant des endospores (grains blancs). Certaines bactéries peuvent sporuler, ce qui leur permet de survivre très longtemps dans les environnements hostiles et de se disséminer. (Université de Neuchâtel)
Les carottes sédimentaires du lac Léman renferment des spores bactériennes porteuses de gènes d'antibiorésistance. Leur fréquence est en corrélation avec l'utilisation des antibiotiques dans les décennies passées. (Université de Neuchâtel)
Fréquence relative des gènes de résistance aux antibiotiques de type tétracycline et sulfonamide dans les bactéries (ADN total) et les spores bactériennes extraites des couches datées de la carotte sédimentaire. (Madueño et al., 2018)
Abondance de spores de différents types de bactéries corrélée avec la présence de gènes d'antibiorésistance : la résistance aux tétracyclines peut être principalement reliée aux bactéries du genre Clostridium (en haut) alors que celle aux sulfonamides est liée à différents groupes bactériens (en bas). (Paul et al., 2018)
L'antibiorésistance apparaît là où les antibiotiques sont utilisés et se dissémine dans les eaux de surface et souterraines à travers les sols et les stations d'épuration. (Natalie Schöbitz, Eawag)