Ménager une porte de sortie aux organismes aquatiques

Tous comme les humains, les habitants des rivières ont besoin d´une issue de secours si un danger se présente. Mais les structures pouvant leur offrir une protection en cas de crue ou d´étiage sont quasiment absentes des cours d´eau canalisés, rectifiés et bétonnés. Comment préserver ou recréer de tels refuges? Cette question est au cœur des recherches de l´écologue Christine Weber.

Sans intervention humaine, les fleuves et rivières sont constitués d´une mosaïque d´habitats variés. Ceux-ci se créent sous l´effet des fluctuations du débit et du transport de sables, graviers et galets – que l´on appelle le charriage –

et se modifient sans cesse. Tous ces habitats remplissent des fonctions importantes pour les organismes aquatiques. Certains sont destinés à la chasse ou à la nourriture, d´autres conviennent à la reproduction, tandis que d´autres encore font office de refuge pendant les périodes de crues ou d´étiages. On trouve de tels refuges dans les espaces poreux interstitiels du lit, dans les bras secondaires, les rives creusées, les accumulations de bois flottant ou encore les zones alluviales. Ils sont indispensables à la survie des habitants des cours d´eau et contribuent donc à la préservation de la biodiversité.

«L´importance des refuges est encore largement sous-estimée dans la gestion des cours d´eau et ils sont bien souvent oubliés dans les projets de revitalisation», note Christine Weber, cheffe du groupe de recherche Revitalisation des cours d´eau à l´Eawag. C´est notamment dû au fait qu´ils sont encore peu étudiés, car les organismes aquatiques n´y résident que rarement et brièvement – et parce qu´au moment d´une crue, il est particulièrement difficile et dangereux d´effectuer des prélèvements. Quelles structures offrent une protection en cas de crue et à quels organismes? Quand et pendant combien de temps sont-elles occupées? Quel est l´impact de la dynamique du charriage sur les refuges? Telles sont les questions sur lesquelles Christine Weber s´est penchée dans le cadre de trois études avec d´autres scientifiques de l´Eawag et du Laboratoire d´hydraulique, hydrologie et glaciologie VAW de l´ETH Zurich. Ces travaux s´inscrivent dans le programme de recherche «Aménagement et écologie des cours d´eau» porté par l´OFEV et quatre institutions du domaine des EPF, dont l´Eawag.

Utilisation des refuges en situation de crue

«Au cours d´une étude de terrain menée dans le Spöl, dans le Parc national suisse, nous avons pu observer dans quels refuges les différents types d´invertébrés venaient se mettre à l´abri lors d´une crue artificielle», raconte Christine Weber. Résultat: c´est la diversité, la connectivité et la persistance des refuges qui importent. Les différentes espèces ont des besoins différents. D´autre part, tous les animaux n´ont pas la même mobilité. Alors que les poissons peuvent se réfugier dans des endroits assez éloignés, les larves d´insectes ont besoin d´espaces protecteurs à proximité immédiate. «Les refuges doivent être connectés avec les habitats habituels pour pouvoir être accessibles à temps en cas de crise. Et ils doivent rester reliés au lieu de vie habituel ou le redevenir après la perturbation pour que les animaux puissent réintégrer les habitats.»

Moins de charriage = moins de refuges

La connectivité des refuges, et donc leur accessibilité, dépend fortement de l´apport de matériaux charriés. «Nous avons étudié plusieurs ruisseaux équipés de dépotoirs à alluvions et nous avons constaté que la rétention du charriage réduisait la variabilité du substrat du lit et causait donc la disparition des refuges», explique Christine Weber. Un déficit de charriage induit aussi une incision du lit sous l´effet de l´érosion, ce qui provoque une déconnexion progressive du cours d´eau avec le milieu environnant. Dans un modèle de laboratoire, Christine Weber et la doctorante du VAW Cristina Rachelly ont étudié la manière dont l´offre en refuges évolue dans un cours d´eau qui a été revitalisé selon le principe de l´élargissement dynamique. Si le charriage est suffisant, la zone d´élargissement est inondée même lors de faibles crues (donc assez fréquentes) et peut servir de refuge. «Dans le cas d´un manque de charriage, la zone d´élargissement ne s´inonde en revanche que lors des crues importantes qui ne surviennent que tous les 30 à 100 ans. Lors des crues de faible ampleur mais fréquentes, les animaux aquatiques ont peu de chances de survivre, car ils ne peuvent pas se mettre à l´abri.» Un assainissement du régime de charriage permettrait ainsi d´accroître l´offre de refuges en cas de crue. «Mais les crues ne sont pas le seul problème, fait remarquer Christine Weber. Avec le changement climatique, les sécheresses vont se multiplier et s´intensifier. Il faudra alors certainement d´autres types de refuges. Il est nécessaire de continuer à développer la recherche dans ce domaine.»

Créer du savoir – et le transmettre

En plus de la recherche, il convient également de développer le transfert de connaissances. Christine Weber en est convaincue. Par le passé, le programme «Aménagement et écologie des cours d´eau» a surtout ciblé les professionnels. Elle estime que cela ne suffit pas: «Nous devons davantage nous adresser aux personnes qui prennent les décisions en matière d´aménagement et de gestion des cours d´eau et qui décident donc de la préservation ou de la restauration des refuges. Dans beaucoup de cantons, il s´agit des conseillères et conseillers municipaux, qui évoluent souvent dans un autre milieu professionnel.» Christine Weber et ses collègues ont donc créé un dépliant, un site Web interactif ainsi qu´une série de vidéos explicatives et ludiques. «Avec cet arsenal, nous voulons notamment sensibiliser à l´importance des refuges et montrer les actions à mener, afin que les refuges ne soient plus oubliés dans les projets d´aménagement des cours d´eau et de revitalisation fluviale.»

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Créé par Isabel Plana pour l’InfEau Magazine 2023